À chaque attentat, son lot de propositions. Après la double attaque terroriste à la voiture bélier qui a fait en tout 15 morts et une centaine de blessés à Barcelone puis Cambrils, les 17 et 18 août derniers, le ministre de l'Intérieur a ouvert la réflexion concernant une nouvelle piste d'action : la psychiatrie.
Gérard Collomb, invité de RTL le 18 août, souhaite "mobiliser les hôpitaux psychiatriques" pour identifier les individus radicalisés en expliquant qu'il allait travailler en collaboration avec la ministre de la Santé. "Nous sommes en train de travailler avec ma collègue (Agnès Buzyn, ndlr) pour essayer de repérer l'ensemble de ces profils qui demain peuvent passer à l'acte", a précisé l'ancien maire de Lyon. Une proposition qui n'a pas laissé le monde des experts en terrorisme, ni celui de la psychiatrie, de marbre. Bien au contraire.
Si certains, comme Cédric Mas, membre d'Action Résilience joint par RTL.fr, concèdent que, selon un dernier rapport, "l'état psychiatrique est un item sur les 45 existants", ce n'est pourtant pas, d'après lui, la solution d'aller chercher parmi les malades. "Chercher à expliquer la radicalisation par la psychiatrie, c'est être à côté de la plaque, c'est ridicule d'en être encore là", critique le spécialiste de la question terroriste Romain Caillet à RTL.fr. Tout comme Jacques Raillane, connu aussi sous le pseudonyme Abou Djaffar, observateur aguerri de la question terroriste, qui juge cette idée "débile", voire "absurde". "Deux ans après le Bataclan, on pensait avoir dépassé ce stade du n'importe quoi", s'insurge-t-il à RTL.fr.
La grande majorité des terroristes n'ont aucun rapport avec la psychiatrie
Raphaël Gaillard, professeur en psychiatrie à Sainte-Anne et expert à la cour d'appel de Paris
Alors que sa proposition a été émise en réaction aux attentats de Barcelone et Cambrils, le ministre de l'Intérieur évoque l'attaque à la voiture bélier de Marseille, survenue trois jours plus tard, pour défendre son idée. L'individu sortait de clinique psychiatrique. Cependant, dans cette affaire, la piste terroriste n'est pas privilégiée.
"Un certain nombre d'esprits faibles qui voient ce qui se passe, vont passer à l'acte par mimétisme et c'est ce contre quoi il faut se prémunir et il faut travailler", explique encore Gérard Collomb. Si le ministre précise toutefois que les terroristes ne "sont pas tous" fous, "sur les fichiers des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), nous considérons qu'à peu près un tiers présente des troubles d'ordre psychologique".
Si aucun de nos interlocuteurs n'écarte la possibilité d'avoir des profils psychiatriques dangereux parmi les terroristes, notamment dans le fait de "prendre du plaisir dans l'acte de donner la mort", il ne s'agit pas, selon eux, d'un critère de radicalisation et pas non plus d'une manière de lutter contre le terrorisme. Aucun des terroristes ayant frappé la France n'est passé par un hôpital psychiatrique. "Il faut rappeler que la grande majorité des terroristes n'ont aucun rapport avec la psychiatrie", affirme ainsi le professeur en psychiatrie à Sainte-Anne et expert à la cour d'appel de Paris, Raphaël Gaillard, à RTL.fr.
Notre boulot de psy, c'est de soigner
Raphaël Gaillard, professeur en psychiatrie à Sainte-Anne et expert à la cour d'appel de Paris
Mais au-delà du caractère jugé "absurde" de cette proposition par nos interlocuteurs, sa réalisation-même semble poser des problèmes. Ainsi, le professeur en psychiatrie rappelle que les médecins sont tenus par "un secret professionnel", "un élément essentiel dans l'exercice médical". Cette mesure pourrait les entraîner dans "une situation où nous ne pourrions divulguer des informations sans violer le secret médical".
Briser le secret médical, c'est prendre le risque de "briser la confiance avec le patient et mettre en danger toute possibilité de le soigner", argumente-t-il encore. D'autant que le professeur Gaillard craint une "stigmatisation des malades en psychiatrie" et d'un amalgame entre "folie et dangerosité" : "La plupart du temps, les malades en psychiatrie ne sont pas dangereux".
"Notre boulot de psy, c'est de soigner", souffle enfin le médecin, qui questionne également le problème de la "trajectoire du patient". "S'il est malade psychiatriquement, on ne va pas le mettre en prison, la priorité est de soigner ses délires", explique le professionnel.
On aimerait bien que ça relève de la psychiatrie mais ce n'est pas le cas
Raphaël Gaillard, professeur en psychiatrie à Sainte-Anne et expert à la cour d'appel de Paris
Une proposition qui pose aussi la question des "signes de radicalisation". Ainsi, comment reconnaître un individu qui présente une possible radicalité islamiste ? "Qu'est-ce qu'une pratique fondamentale de l'islam ?", interroge par exemple Romain Caillet, selon qui la solution émise par le ministre de l'Intérieur traduit une "méconnaissance de l'idéologie".
"On aimerait bien que ça relève de la psychiatrie mais ce n'est pas le cas", conclut alors Raphaël Gaillard, en accord avec les spécialistes en terrorisme. D'autant que ça concernerait davantage le terrorisme dans son ensemble (pas seulement islamiste) et pas les jihadistes, qui sont "90% à ne pas commettre d'attentat", selon Romain Caillet. "Leur engagement est idéologique et ne relève pas de la psychiatrie", insiste-t-il.
"On a dit qu'ils étaient drogués, qu'ils étaient chômeurs, qu'ils étaient malades" parce que "ça fait peur de penser que des gens pas fous puissent faire ça", analyse encore Jacques Raillane, qui ironise en imaginant une suite : "On va bientôt demander à Pôle Emploi de discerner des signes de radicalisation !".
Ça évite de se poser les questions déran