Lire, écrire, compter : le lundi 16 septembre marquait le coup d'envoi des évaluations de CP et CE1 dans les écoles françaises. Cette nouveauté a été instaurée par Jean-Michel Blanquer en 2018 et fait encore polémique au sein du corps enseignant. Son but : évaluer les points forts et difficultés des élèves, en français et en mathématiques, à leur entrée à l'école primaire.
À l'occasion de ces évaluations, Le Parisien a donné la parole aux professeurs et professionnels de l'éducation. Pattes de mouches et autres gribouillis : ceux-ci s'inquiètent des difficultés que les élèves ont à écrire de manière lisible.
En cause selon eux : l'utilisation croissante des outils numérique à l'école et à la maison, mais aussi, le temps de moins en moins accordé à l'apprentissage de l'écriture manuscrite dans les classes.
Je me suis vraiment sentie démunie
Amandine Vignaux, graphopédagogue et ex-professeure des écoles
Ne pas savoir écrire correctement, peut s'avérer être un handicap dans la vie de tous les jours. Amandine Vignaux reçoit tous les jours dans son cabinet des parents inquiets pour leurs enfants. Après avoir été elle-même professeure des écoles, elle a choisi de se spécialiser en graphopédagogie, c'est-à-dire dans l'enseignement et la rééducation à l'écriture.
"En tant que professeure je me suis sentie démunie face aux difficultés d'écriture des élèves, Je ne savais pas comment y remédier", raconte-t-elle à RTL.fr depuis Toulouse (Haute-Garonne), où elle exerce. Les parents viennent aujourd'hui la consulter parce que l'écriture de leurs enfants est jugée illisible. Un obstacle lorsqu'il s'agit d'être évalué, par exemple.
Les enfants se sentent eux-mêmes en difficulté. "Ils se plaignent de des douleurs, de crispations liées aux gestes de l’écriture", explique-t-elle. Amandine Vignaux leur fait alors revoir les fondamentaux : "une posture corporelle adéquate et une tenue du crayon correcte."
Ce qui permet à un enfant d'acquérir le meilleur niveau d'écriture, c'est l'exercice. "Plus l'enfant s'entraîne, meilleur il devient", résume Céline Combes, maîtresse de conférence en psychologie à l'université d'Angers à RTL.fr. "Plus un enfant va reproduire une lettre, plus il renforce la représentation visuelle qu'il en a et va la mémoriser."
C'est ce que les spécialistes appellent la sensori-motorisation : "Le mouvement qu’on fait crée une mémoire dans notre cerveau", définit Jean-Luc Velay, chercheur en neurosciences cognitives à l'université d'Aix-Marseille. "Cette force est utilisée en lecture pour identifier les caractères", explique-t-il à RTL.fr.
Ne pas bien maîtriser l'écriture manuscrite, peut engendrer des difficultés en lecture
Jean-Luc Velay, chercheur en neuroscience cognitive
Lors de ses recherches avec sa collègue Mariecke Longcamp, Jean-Luc Velay a ainsi observé que "les enfants que l'on privait d'écriture manuscrite, en les faisant écrire au clavier, rencontraient des difficultés pour identifier les lettres visuellement".
"Ne pas bien maîtriser l'écriture manuscrite, peut engendrer des difficultés en lecture", résume-t-il.
C'est le cas également pour l'orthographe, comme l'a observé Roxanne Joannidès lors de l'écriture de sa thèse. En étudiant des copies de brevet, elle a remarqué beaucoup d'erreurs liés à la transposition de l'écriture électronique à l'écriture manuscrite. Cependant, selon elle, avoir recours à l'écriture électronique à l'école, via les tablettes ou ordinateurs, n'est pas un problème.
"Il faut seulement que les élèves aient bien conscience que sur un même support on n'attend pas la même chose, explique-t-elle à RTL.fr. Maîtriser la langue c'est aussi maîtriser le contexte dans laquelle on l'utilise."
L'écriture manuscrite renforce la dextérité d'une main par rapport à l'autre
Jean-Luc Velay, professeur en neuroscience cognitive
Le recul historique n'est pas encore assez important pour voir les conséquences qu'a le manque d'écriture manuscrite sur la vie de tous les jours. Jean-Luc Velay ne prédit cependant pas un avenir sombre. "L'écriture manuscrite renforce la dextérité d'une main par rapport à l'autre, mais écrire sur un clavier renforce la coordination des mains", explique-t-il.
Dans le futur, si l'écriture numérique venait à remplacer l'écriture manuscrite, les enfants développeraient donc des compétences différentes. "Les deux mains pourraient développer une autre habilité, comme c'est le cas avec les musiciens, et notamment des pianistes", résume Jean-Luc Velay.