Les médecins voient affluer dans les hôpitaux des patients tristes, anxieux, ou épuisés, et pas toujours avec des antécédents psychiatriques.
Aux urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, depuis des semaines c'est un flux continu, qui remplit les box, encombre les couloirs étroits des urgences. Ce matin, cinq patients attendent d'être vus par Marion Labaeye, l'unique psychiatre du service. Une jeune femme est couchée sur un lit, amenée par les pompiers. Ses paroles sont confuses. Elle a fait une tentative de suicide. "'C'est la première fois que vous avalez autant de médicaments en si grosse quantité ?' 'Non', répond la patiente. 'Combien de fois vous l'avez fait ?' 'Plusieurs fois'", confie-t-elle.
L'étudiante de 23 ans présente des troubles psychiatriques. Elle vit seule dans son studio, sans revenus, a arrêté son apprentissage en électronique. Le confinement a empiré sa situation. "J'ai fait ça dimanche soir et après le matin je n'arrivais ni à me réveiller ni à bouger car j'ai pris trois plaquettes de somnifères. C'est trop dur en ce moment, le confinement ce n'est pas évident. J'ai un problème avec moi-même, à m'aimer moi-même donc je voulais mettre fin à ma vie", raconte cette étudiante.
La psychiatre appelle les proches de la patiente, pour faire son diagnostic. Elle sera mise sous surveillance dans une chambre. "C'est une patiente qui est plutôt impulsive, qui a du mal à gérer ses émotions. (...) Dans la majorité des cas que l'on reçoit en ce moment, il y a un rapport avec la période que l'on vit, le confinement. Cela les a fragilisés". La jeune femme ne sera pas hospitalisée. Une fois stabilisée, elle pourra rentrer chez elle et devra suivre un traitement.
Mais le service des urgences psychiatriques voit arriver, des patients, seuls, isolés, souvent inconnus jusque-là, mais d'autres reviennent. En effet à côté des dépressions et des bouffées délirantes, les équipes doivent soigner des dizaines de patients, déjà connus, en rupture de traitement.
Sur un brancard, désorienté, hébété, un homme de 27 ans souffre de schizophrénie. Son pantalon est sale et déchiré, ses pieds, en sang. C'est son frère, Abdel, qui l'a amené jusqu'ici. Il l'a retrouvé errant dans la rue : "Il a vécu pendant une semaine dehors, il n'a fait que marcher et il n'a pas pu s'alimenter correctement dû au confinement qui a été dur à vivre. Il a décidé de faire une rupture de traitement ce qui a crée une rechute."
Au téléphone, Théo, l'infirmier du service, cherche désespérément une place d'hospitalisation. La crise du coronavirus n'a pas amené davantage de lits : "C'est pénible de voir des gens qui sont dans des endroits qui ne sont pas adaptés pour eux. Parfois on doit les contentionner, on ne peut rien y faire sauf voir les patients qui s'accumulent et parfois c'est un peu désespérant."
Après la Covid-19, les urgences psychiatriques sont désormais submergées par une nouvelle vague. L'activité du service a quasiment doublé par rapport à la même période l'an dernier : on a compté ici jusqu'à 23 patients en une seule journée.