Écoutes passives, films, publicité... Comment les groupes générés par IA menacent l'industrie musicale

Ils se font toujours plus nombreux sur les plateformes de streaming. Les groupes de musiques entièrement générées par l'intelligence artificielle (IA) inquiètent les artistes, et la question se fait insistante dans l'économie musicale. Les groupes de rock The Velvet Sundown, The Devil Inside et Aventhis (dark country) ont déjà sorti plusieurs albums et dépassé le million d'écoutes sur la plateforme d'écoute Spotify.

Dans le podcast "Imagine AI Live", le producteur et compositeur Yung Spielburg voit l'IA souligner la séparation entre "l'écoute passive et active". L'écoute active implique que les gens "s'intéressent à ce que vous avez à dire" et implique une musique qui a peu à craindre de l'arrivée de l'IA. À partir de l'écoute passive, lors de la préparation d'un repas, un dîner à la maison, ou la corvée de repassage, "vous ne cherchez pas à savoir qui est l'artiste".

Si des logiciels deviennent assez avancés pour que les "gens ne puissent pas faire la différence" en écoute passive, labels et entreprises "choisiront l'IA générative", prédit-il, "parce qu'ils n'auront pas à payer de droits." Les plateformes de streaming "remplissent déjà des playlists avec de la musique d'"ambiance", souvent attribuée à des artistes mystérieux sur lesquels on ne trouve aucune information", ajoute Dennis DeSantis, professeur à l'université de Rochester (États-Unis).

Une technologie qui inquiète les artistes

Au-delà du streaming, films, séries, publicités ou espaces publics sont des proies faciles pour cette production synthétique, poursuit l'universitaire, la musique ne passant qu'au second plan". Ces morceaux, conçus partiellement grâce à l'IA réduisent le volume de travail disponible pour la profession. "Cela va devenir encore plus difficile pour les musiciens de gagner leur vie", s'inquiète Mathieu Gendreau, professeur à la Rowan University (Massachussetts) et spécialiste de l'industrie musicale.

"C'est probablement cela le problème principal", dit-il. "Comment l'argent va-t-il être distribué?". Leo Sidran, producteur, compositeur et interprète, raconte avoir observé un "fort ralentissement" de l'activité depuis l'automne 2024, une sensation partagée par ses contacts dans le milieu. "Je soupçonne que l'IA y est pour beaucoup", glisse-t-il. "Je sens que beaucoup des clients qui me commanderaient habituellement de la musique règlent la question avec l'IA."

De son côté, le critique musical Philippe Manœuvre indique que Spotify produit de la musique dans le but d'éviter les sanctions des droits d'auteur, à la manière des caissiers remplacés par des machines, une pratique qui évite les entreprises de payer un employé derrière chaque client. Deezer révèle que 18% des nouveaux morceaux mis en ligne chaque jour sont déjà générés par l'intelligence artificielle.

Une opportunité future ?

Le phénomène à la progression fulgurante soulève des questions éthiques, et ce progrès technologique a déjà plusieurs fois révolutionné le domaine musical, de la radio au streaming, en passant par l'autotune, un outil correcteur sonore, ou encore le logiciel d'enregistrement et d'édition Pro Tools. Selon George Howard, professeur au Berklee College of Music de Boston (ouest), "l'IA constitue un défi sans commune mesure" avec ces chapitres précédents.

Les tribunaux sont, selon lui, la voie à privilégier. Ces derniers représentent des lieux où sont engagées de nombreuses procédures opposant les détenteurs de droits aux géants de l'IA générative, un processus qui ne devrait pas aboutir avant plusieurs mois ou plusieurs années. Habitué à un écosystème fragilisé depuis le début des années 2000, Mathieu Gendreau a pris son parti de l'IA, "qui va s'installer durablement, car elle est peu chère et pratique".
 
Pour aider ses étudiants à survivre dans cet univers, Mathieu leur enseigne que "la musique n'est qu'une partie" de l'équation. "Il faut être entrepreneur, avoir plusieurs activités", se diversifier. Leo Sidran évoque "une opportunité pour les artistes de mettre en avant ce qui les rend uniques". "Ne cherchez pas à faire quelque chose d'attendu", insiste-t-il, "parce que l'IA l'aura fait aussi."