Francisco Franco est un tyran qui a sa place dans la liste des criminels et des tortionnaires. Celui qui s'est autoproclamé "caudillo", le guide, a beaucoup de sang sur les mains. Pendant les 40 premières années de sa vie, ce haut-gradé, moustachu, petit, un tantinet gringalé et à la voix perché ne fait pas beaucoup parler de lui.
Mais en 1936, c'est son heure de gloire quand éclate la guerre d'Espagne. Franco devient le chef du camp nationaliste. Aidé par Hitler, aidé par Mussolini, il ordonne pendant trois ans les pires horreurs contre ses adversaires républicains, qui eux aussi commettent des atrocités, il faut être honnête. Après avoir gagné, Franco se voit pendant plus de 30 ans comme le régent d'une monarchie amenée à revenir au pouvoir. Il est surtout le seul maître à bord, froid et impassible, d'une dictature qui voit des complots partout, contrôle tout et interdit les libertés en exécutant les opposants.
Le 19 mai 1939, Franco, 46 ans, a fait de cette date un jour férié. Un mois et demi plus tôt, il a annoncé la fin de la guerre d'Espagne, un conflit qui a duré presque trois ans entre les nationalistes et les républicains et qui a fait en tout des centaines de milliers de morts et des centaines de milliers d'exilés. Franco a gagné cette guerre et il est désormais l'homme fort de l'Espagne.
Pour asseoir son autorité et se faire mousser, il enchaîne les célébrations à sa gloire. Après celle du 19 mai, il remet ça le lendemain. Il se rend dans une église madrilène pour une messe et dépose son épée au pied d'une statue du Christ. Pas du genre modeste, Franco montre ce jour-là qu'il se prend à la fois pour un roi et pour un envoyé de Dieu qui, comme au Moyen-Âge, a remporté une croisade et sauvé l'Espagne de ses ennemis. Francisco Franco Bahamonde naît en 1892 dans un petit port tranquille au nord de l'Espagne, en Galice, à Ferrol. Il ne passe pas une jeunesse heureuse.
Sa mère est une femme très pieuse et très austère. Son père, officier de marine, est sévère et souvent absent. Il rentre sous à la maison tard le soir et il ne cesse de dire à son fils qu'il n'est bon à rien. Quant à l'adolescence, Franco intègre l'académie d'infanterie à Tolède, dans le centre de l'Espagne, et devient le véritable souffre-douleur de ses camarades. Maigrichon, effacé, il est moqué pour sa petite taille et pour sa voix. Il n'a pas beaucoup d'amis, ne s'intéresse pas aux filles et ne boit pas. Mais il a déjà de l'ambition, beaucoup d'ambition.
Quand le jeune cadet sort enfin diplômé de la célèbre Académie d'infanterie de Tolède, il obtient son affectation au protectorat espagnol du Maroc. C'est loin d'être une sinecure. Comme le protectorat est tout récent, les soldats ont du mal à se faire respecter dans cette zone montagneuse, dominée par la chaîne du Rif et peuplée par des berbères hostiles à la présence de l'armée espagnole. Beaucoup de militaires sont tués d'ailleurs dans les combats.
Mais Franco va rester dix ans au Maroc et se forger un caractère de meneur d'hommes. Sa capacité de commandement et sa bravoure au combat vont lui permettre de gravir très vite les échelons. Pour avoir permis à l'Espagne de remporter une victoire décisive contre les berbères pendant la guerre du Rif, Franco est promu général de brigade à 33 ans, devenant ainsi le plus jeune général de l'histoire du pays et de toutes les armées d'Europe.
En 1936, Franco a 44 ans. Il est chef d'état-major des armées dans une Espagne qui s'enfonce dans la crise, dans le chaos même. Depuis cinq ans, le pays est une République, mais la violence est à son comble entre la gauche et la droite. Après la victoire législative d'un cartel de gauche, le Front Populaire, une partie de l'armée, qui a peur que le pays devienne une sorte d'URSS ibérique, décide qu'il est temps de prendre le pouvoir par la force.
Franco est évidemment sollicité de par son statut et sa capacité à mettre de l'ordre, comme il l'a montré en réprimant une grève de mineurs deux ans plus tôt dans la région des Asturies, avec un bilan de 3.000 morts et 7.000 blessés. Mais même s'il est de droite, tendance monarchiste, et que la gauche vient de le mettre au placard en le nommant commandant des îles Canaries, Franco refuse de prendre part au putsch. C'est finalement l'assassinat du chef d'un parti de droite par les socialistes qui va le convaincre de rejoindre la conjuration. Le 17 juillet 1936, grâce à un riche ami banquier qui a mis à sa disposition un avion, Franco quitte les Canaries et rejoint le Maroc espagnol qu'il connaît comme sa poche. C'est de là que le putsch est lancé, avant de gagner la péninsule, soutenue par Hitler et Mussolini qui envoient des troupes et du matériel pour aider Franco.
Comme il manque malgré tout de charisme, Franco se sert du moindre fait d'arme pour faire sa propagande. Par exemple, quand il libère l'Alcazar de Tolède, une énorme bâtisse où les jeunes élèves officiers franquistes sont assiégés pendant deux mois par l'armée républicaine, Franco utilise cet épisode pour apparaître comme le héros de l'Espagne.
Mais le revers de la médaille est terrible. Franco ordonne de nombreux massacres. À Badajoz, dans le sud-ouest de l'Espagne, les miliciens républicains qui déposent les armes sont tués froidement par les troupes franquistes et les prisonniers sont parqués dans les arènes de la ville et exécutés à la mitrailleuse. Jusqu'à 4.000 victimes sont dénombrées. Franco multiplie aussi les bombardements contre les civils. Le plus connu a lieu en avril 1937 à Guernica, au Pays Basque. En plein jour, l'Allemagne nazie envoie ses avions de la Légion Condor larguer sur cette petite ville aux mains des Républicains des bombes explosives.
Petit à petit, avec une puissance militaire largement supérieure à celle de ses rivaux républicains, Franco gagne du terrain. Dans les régions soumises à son autorité, une véritable répression se met en place. Tous les opposants, politiciens de gauche, dirigeants syndicaux, francs-maçons, prêtres restés fidèles à la République, sont raflés par des escadrons mobiles, jugés à la va-vite et fusillés. Des prisonniers républicains sont sortis de leurs cellules et jetés dans le vide. Près de Séville, des femmes républicaines doivent boire de l'huile de ricin avant d'être tondues, torturées puis fusillées. Jetées dans une fosse commune, on les appellera les 17 roses de Guyana, du nom de leur village d'origine. Ces horreurs font la une de la presse et à l'étranger, beaucoup poussent pour un soutien militaire aux républicains.
Mais à Paris comme à Londres, les gouvernements préfèrent calmer le jeu avec Hitler que de se mêler d'un conflit qui ne les concerne pas et soutenir des républicains qui n'ont plus aucune chance de gagner contre Franco. Après avoir remporté la guerre d'Espagne, Franco fait régner ce que l'on va appeler la terreur blanche, surtout à Madrid. Après le meurtre d'un haut gradé franquiste, 63 accusés sont exécutés, dont 13 jeunes femmes âgées de 18 à 29 ans. En quatre ans, au moins 200.000 personnes sont assassinées dans la capitale espagnole. Ailleurs, en Espagne, des centaines de milliers de républicains, notamment des communistes et des anarchistes cachés dans le maquis et qui mènent une guérilla contre le régime, sont arrêtés et jugés dans des parodies de procès sans possibilité de faire appel. Ils sont soit fusillés, soit internés dans près de 200 camps de concentration. Des enfants de familles républicaines sont retirés à leur mère et placés dans des familles franquistes.
Tous les partis politiques sont interdits, sauf bien sûr celui de Franco, le mouvement national. Il n'y a qu'un syndicat unique et le culte catholique est le seul autorisé. La liberté de la presse et de faire grève n'existent pas. Pour échapper à cette dictature, beaucoup d'Espagnols s'exilent, notamment en France. Pendant la Seconde Guerre mondiale, même si Franco joue la carte de la neutralité, il envoie des volontaires espagnols combattre dans l'armée d'Hitler sur le front de l'est.
Chef d'État à vie, il gouverne toujours d'une main de fer. Il n'y a pas d'élection et Franco remporte les rares plébiscites, truqués, à plus de 95%. La répression se poursuit contre les communistes, les indépendantistes catalans et l'organisation armée nationaliste basque, ETA. Certains de ses membres, accusés de terrorisme, finissent au peloton d'exécution. Partout, Franco est présenté en statut équestre et sa tête est sur toutes les monnaies, avec comme inscription "caudillo" d'Espagne, "par la grâce de Dieu".
Les derniers mois de Franco sont pathétiques, comme souvent chez les vieux tyrans. Atteint de la maladie de Parkinson et sénile, il s'accroche au pouvoir. Mais après plusieurs crises cardiaques et un mois d'une agonie qui tient en haleine le monde entier, Franco finit par mourir, le 20 novembre 1975, à l'âge de 82 ans. En près de quatre décennies à la tête de l'Espagne, et même s'il n'existe pas de chiffre précis, Franco a laissé le bilan le plus sombre de toute l'histoire du pays et petit à petit, les traces du dictateur s'effacent. Dernier exemple en date, en 2019, la dépouille de Franco est exhumée d'un mausolée qu'il avait lui-même fait construire par des prisonniers républicains condamnés aux travaux forcés. Ses restes sont placés dans un cimetière de Madrid. Depuis les années 2000, jusqu'à 800 charniers de républicains et d'opposants à la dictature franquiste ont été découverts dans toute l'Espagne.
>> Les Salauds de l'Histoire. À travers un récit long format, Éric Brunet retrace, toutes les semaines, la vie et les crimes d'un salaud de l'Histoire. Une collection spéciale de notre émission phare Entrez dans l'Histoire.
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