Augustin Trapenard sur RTL : "Peut-on parler de dialogue social quand c'est un dialogue de sourd ? C'est là qu'intervient Ionesco !"

Au lendemain d'une grande journée de mobilisation, le 18 septembre, le dialogue social semble avoir tourné au dialogue de sourd. Quand personne ne s’écoute, peut-on vraiment parler de dialogue ? La réponse est peut-être dans La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco. Le problème dans l’expression "dialogue social", c’est bien le mot "dialogue".

Tout le monde le réclame, tout le monde s’y engage, mais y croit-on vraiment ? Y a-t-il une conversation ? Peut-on encore parler de dialogue social quand c'est un dialogue de sourd ? C’est là où intervient La Cantatrice chauve de Ionesco. Cette pièce de 1957, qui a été jouée plus de 20.000 fois à Paris, est encore aujourd'hui l'un des chefs-d'œuvre du théâtre de l’absurde. 

C’est une pièce sur le dialogue où il n’y a pas de dialogues ! Sur scène, il y a deux couples qui discutent, mais qui ne se répondent pas, qui font des phrases qui n’ont rien à voir les unes avec les autres, qui se contredisent ou pas, mais qui sont toujours complètement déconnectés : c’est comme si les personnages ne s’écoutaient pas.

Si l'on ne parle pas ensemble, mais chacun son tour, on ne s'écoute pas, il n'y a pas de dialogue

Si on parle de dialogue social, aujourd’hui, c’est intéressant : quel que soit son bord politique ou ses convictions, si on est honnête, quand on voit toutes les parties (syndicats, employeurs, gouvernement) répéter les mêmes mots à l’infini, les mêmes éléments de langage, les mêmes slogans… on ne peut pas dire qu'il y a un dialogue ! Et si on ne parle pas ensemble, mais chacun son tour, en répétant jusqu'à l'obsession les mêmes mots, le résultat, comme dans La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco, c'est qu'on ne s'écoute pas, il n'y a pas de dialogue. 

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Ionesco est très cruel. Ce qu'il nous dit, c'est qu'on peut très bien ne pas en sortir, que quand chacun joue son petit rôle, quand chacun fait son monologue, quand on fait échouer la fonction de communication du langage, on est condamné à rester coincé. Et c'est ainsi que la pièce ne parvient pas à se conclure : "La pièce recommence avec les Martin, qui disent exactement les répliques des Smith dans la première scène, tandis que le rideau se ferme doucement".

Et la cruauté d'Eugène Ionesco, au fond, c'est d'imaginer une pièce qui tourne en rond, qui tourne en boucle, où la seule solution pour s'en sortir, c'est de changer de pièce, littéralement. C'est-à-dire de jouer ou d'aller voir une pièce dans laquelle l'on pourra vraiment échanger, vraiment communiquer, vraiment dialoguer.

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