Un tournant important s'est amorcé dans la lutte des autorités françaises contre l'exposition des mineurs à la pornographie en ligne. Depuis ce samedi 11 janvier, les sites pornographiques ont l'obligation de se conformer aux règles édictées par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) concernant la vérification de l'âge en ligne. En clair : prouver sa majorité en un clic sur la base d'une simple déclaration sur l'honneur n'est plus acceptable pour les autorités qui imposent aux plateformes des outils de vérification techniquement fiables.
Ces solutions sont détaillées dans un cahier des charges technique qui a été publié le 11 octobre dernier. Les entreprises manquant à cette obligation s’exposent à des sanctions en vertu des pouvoirs donnés à l'Arcom par la loi SREN adoptée en mai dernier qui permet à l'autorité d'ordonner, sans le concours d'un juge, le blocage par les opérateurs télécoms des sites incriminés et leur déréférencement.
Cette évolution était très attendue par les associations de protection de l'enfance alors que la consommation de pornographie a explosé chez les jeunes ces dernières années. D'après les chiffres des autorités, ils seraient aujourd'hui près de 2,3 millions de mineurs à se rendre sur ces sites au moins une fois par mois, plus d'un garçon sur deux de moins de 12 ans et un tiers des filles.
Le 11 janvier est une étape avant tout symbolique : les obligations des professionnels ne changent pas outre-mesure depuis ce week-end. Le droit français interdit depuis près de trois décennies d'exposer des mineurs à un contenu pornographique. Depuis la loi de juillet 2020 ,les plateformes ne peuvent plus se contenter d'un contrôle de l'âge déclaratif établi en un clic. Mais les principaux acteurs du secteur ont multiplié les recours juridiques jusqu'ici pour repousser leur application de ce cadre réglementaire qui leur impose des surcoûts et les expose à une baisse de trafic. Avec un argument : la loi ne leur précisait pas quelle solution mettre en place pour faire le tri entre leurs visiteurs mineurs et majeurs.
Pour aider les plateformes à y voir plus clair, l'Arcom a publié le 11 octobre un référentiel technique qui passe en revue les solutions technologiques qu'elle juge acceptables. Le 11 janvier marque l'entrée en vigueur de ce cahier des charges. Les sites pornographiques ne peuvent plus feindre d'ignorer quels dispositifs ils sont tenus de mettre en œuvre à l'entrée de leurs portails pour contrôler l'âge de leurs visiteurs.
Les autorités laissent toutefois une marge de manœuvre à l'industrie : le temps de la mise en conformité, les sites sont autorisés à utiliser une solution de vérification de l'âge basée sur la carte bancaire pendant une période transitoire de trois mois, jusqu'au 11 avril. Ensuite, les plateformes devront nécessairement proposer d'autres solutions techniques, dont au moins une en "double anonymat", assurée par un tiers indépendant, qui réponde aux exigences en termes de fiabilité du contrôle de l'âge mais aussi en matière de respect de la vie privée des internautes. "Le 11 janvier, c'est le début du compte-à-rebours", résume auprès de RTL Candice Dauge, directrice des solutions d'identité numérique de Docaposte, filiale du groupe La Poste qui développe la solution d'identification 18Connect permettant de démontrer son identité et son âge à destination des sites pornographiques.
Pour se conformer à ces nouvelles règles, les sites pornographiques ont la possibilité de mettre en place plusieurs méthodes éditées par des prestataires externes. La première, temporaire, consiste à vérifier l'âge par le biais de la carte bancaire. Le filtrage peut s’opérer soit sous forme de paiement de 0 euro, soit sur simple authentification sans paiement. Cette solution a ses limites : un million et demi de mineurs disposent d'une carte bancaire et pourraient passer outre ce contrôle. Le recours à la carte bancaire expose aussi les internautes à des risques de hameçonnage et de piratage. Mais cette méthode sera tolérée jusqu'au 11 avril afin d'imposer un premier filtre aux sites pornographiques et protéger sans attendre les utilisateurs les plus jeunes.
De façon plus pérenne, les sites pornographiques peuvent demander à leurs visiteurs de réaliser un scan numérique d'une pièce d'identité (carte d'identité, passeport, permis de conduire). Une autre méthode consiste à s'appuyer sur l'intelligence artificielle et la reconnaissance faciale pour estimer l'âge d'un internaute en analysant un selfie vidéo réalisé par ses soins. Cette technique est déjà mise en place sur les réseaux sociaux du groupe Meta pour vérifier l'âge d'un utilisateur en cas de doute sur sa déclaration. Les plateformes financières ont également recours à ces techniques pour vérifier l'identité de leurs nouveaux inscrits.
La particularité de l'approche française réside dans le fait qu'au moins une des méthodes mises en place par les plateformes devra répondre à une exigence de double anonymat. En résumé : les éditeurs doivent faire appel à un prestataire indépendant pour collecter les données permettant de vérifier l'âge des internautes et un autre pour transmettre l'information de la majorité, de façon à ne pas pouvoir relier l'identité de l'internaute et l'usage qui est fait de sa preuve de majorité.
Une dizaine d'entreprises sont sur les rangs en France pour équiper les sites pornographiques de ces nouveaux outils. Certaines, comme Docaposte et IDxLab, proposent un guichet unique combinant plusieurs méthodes de vérification de l'âge (identité numérique, estimation par selfie, ticket en vente chez les buralistes, transaction bancaire) dans le respect du double anonymat. D'un côté, l'internaute prouve sa majorité en téléchargeant un document d'identité sur une application, de l'autre, l'application envoie l'information de l'âge du visiteur sans transmettre son identité.
"Il suffit de télécharger notre application puis votre identité est vérifiée à distance, via un scan de pièce d'identité recto verso. L'IA extrait votre date de naissance et valide le processus avec une analyse de votre visage via un selfie vidéo pour vérifier que vous êtes bien vivant. Le protocole prend une minute environ et vous obtenez un QR code que vous pouvez transmettre au site pour lui indiquer que vous êtes majeur", résume à RTL Jacky Lamraoui, fondateur d'IDxLab, qui développe la solution AnonymAge déjà présente sur une vingtaine de sites pour adultes.
En parallèle, des startups entendent s'imposer comme des intermédiaires obligés dans la mise en œuvre du double anonymat. "On intervient comme un tiers de confiance. On ne fait pas de vérification d'âge directement mais on fait transiter l'information de la majorité de façon anonyme pour que les sites destinataires ne connaissent pas l'identité de l'utilisateur ni son historique d'utilisation", explique à RTL Camille Nkodia, dirigeante d'Opale.io, qui mise sur des mécanismes cryptographiques avancés, des fournisseurs d'identité de confiance et une intégration Web sans friction pour tirer son épingle du jeu dans ce secteur en pleine effervescence.
La publication du référentiel de l'Arcom a donné un vrai coup d'accélérateur à ce marché émergent. Outre le porno, les acteurs espèrent trouver des débouchés dans les sites de paris sportifs, les sites de vente d'alcool mais aussi dans les réglementations à venir sur les réseaux sociaux, comme la majorité numérique à 15 ans appelée de ses vœux par Emmanuel Macron. Le développement d'un portefeuille numérique européen à horizon 2026 est également dans tous les esprits. "Aujourd'hui, si vous avez une application de vérification de l'âge sur votre téléphone, on peut savoir pourquoi vous l'utilisez dans la mesure où l'usage est limité aux sites porno. En intégrant cette fonction à côté d'autres usages, le e-wallet européen devrait permettre de prouver sa majorité tout en garantissant l'anonymat", souligne Marc Norlain, directeur général d'IDNow, un des leaders européens de la vérification d'identité.
Ces obligations renforcées ne devraient pas améliorer fondamentalement la protection des mineurs dans l'immédiat. Si la plupart des sites payants n'ont pas rechigné à mettre en place des expérimentations auprès des fournisseurs de solutions de vérifications de l'âge ces dernières semaines, les nouvelles règles du jeu sont contestées par les plus grosses plateformes gratuites de l'industrie.
C'est l'un des trous dans la raquette du dispositif : la vérification obligatoire de l'âge des internautes ne concerne pour l’instant que les sites basés en France et en dehors de l’Union européenne. La France ne peut pas bloquer l'affichage des sites internet situés dans l'Union européenne en vertu du principe de la libre circulation des services de la société de l'information, un principe fondamental dans le droit de l'Union européenne. Ce point exclut du périmètre de la procédure de l'Arcom les leaders du secteur : le groupe Aylo, la maison-mère de Pornhub, établi à Chypre, mais aussi Xvideos et Xhamster, basés en République-Tchèque. La plupart des éditeurs de ces sites ont déjà fait savoir qu'ils n'entendaient pas se plier aux exigences françaises. Le seul moyen d'action des autorités consiste à passer par une procédure européenne impliquant de notifier les Etats où sont domiciliés ces sites. D'après Le Monde, une procédure a été initiée par le ministère de la Culture en fin d'année. L'issue n'est pas attendue avant plusieurs mois.
Sans surprise, la plupart des acteurs soumis à la loi SREN ont eux aussi l'intention de jouer la montre, comme le texte leur laisse la possibilité jusqu'à la fin de la période transitoire fixée au 11 avril. Il ne faut donc pas s'attendre à un écran noir sur les sites pornographiques en France dans les prochaines semaines. D'autant que l'Arcom n'est pas encore totalement en ordre de bataille pour initier les évaluations en temps réel des systèmes mis en place par les plateformes. Lorsque ce sera le cas, les éventuelles procédures initiées par l'instance ne pourront ensuite intervenir que dans un nouveau délai de deux mois minimum, le temps nécessaire de l'identification des sites contrevenants à la demande de blocage effective.
Certaines plateformes ont néanmoins commencé à se plier à leurs obligations renforcées. Bloqué à la suite d'une décision de justice mi-novembre, le site Tukif, basé au Portugal, a mis en place de nouveaux outils pour se conformer au cadre réglementaire français. L'entreprise a intégré sur son site un ensemble de solutions, dont le recours à l'outil Anonymage du prestataire IDxLab, le ticket AgeVerif, le selfie vidéo et la transaction de carte bleue. L'effet n'a pas tardé à se faire sentir. Sollicité par RTL, le responsable du site déplore la perte de 60% de visiteurs uniques en France et estime que moins de 5% des internautes procèdent à la vérification de leur âge. "Comme Tukif est le seul site d'envergure à demander une vérification de l'âge, il leur suffit de se rendre sur d'autres sites pour ne pas avoir à le faire", regrette-t-il. Selon lui, "la vérification de l'âge est vouée à l'échec car les petits acteurs assument seuls ces contraintes tandis que les grands sites échappent largement aux sanctions".
Autre caillou dans la chaussure des pouvoirs publics : le risque de voir les internautes contourner les restrictions en mettant en œuvre des stratagèmes techniques, comme le recours à des sites miroirs, qui répliquent à l'identique une page sous un nom de domaine différent, ou l'installation d'un réseau privé VPN, pour masquer la localisation de la connexion. Aux Etats-Unis, le nombre d'achats de VPN a explosé ces derniers mois dans les Etats où des lois similaires ont été votées. Il n'aura pas non plus échappé aux observateurs que le Royaume-Uni a fait marche arrière en 2019 sur un projet de vérification de l'âge des visiteurs des sites pornographiques du même type. Les autorités françaises s'attendent à voir leur dispositif attaqué de toute part dans les prochaines semaines mais restent convaincues de son efficacité sur le long terme pour enclencher un changement des comportements face à la pornographie en ligne.
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