Le chiffrement des communications est de nouveau dans le viseur des politiques. À l'occasion de l'examen de la proposition de loi contre le narcotrafic, le Sénat a voté un amendement visant à pousser les messageries chiffrées à mettre en place un accès privilégié aux contenus chiffrés qui transitent sur leurs plateformes pour les services de renseignement français sous peine d'amende.
La disposition votée mardi 28 janvier "instaure pour les plateformes une obligation de mettre en œuvre les mesures techniques nécessaires afin de permettre aux services de renseignement d’accéder au contenu intelligible des correspondances et données qui y transitent", peut-on lire notamment. Adopté avec le soutien du gouvernement, le texte, introduit par le sénateur LR Cédric Perrin, doit encore être approuvé par la chambre haute avant d'être examiné par l'Assemblée nationale.
À travers cette disposition, les sénateurs entendent contraindre les plateformes dont les conversations sont protégées par un protocole de chiffrement, comme WhatsApp, Messages d'Apple ou Signal, à mettre en place des mesures techniques qui permettent aux autorités d'accéder aux contenus échangés. "Les réseaux de narcotrafiquants, les groupes terroristes et, au-delà, toutes les organisations criminelles tirent profit de la généralisation des messageries chiffrées et des difficultés pour les services de renseignement à accéder aux informations qui sont échangées sur ces plateformes", énonce l'amendement.
Pour assurer le respect de ces nouvelles exigences, le texte prévoit de renforcer les sanctions pénales applicables aux éditeurs qui refuseraient de coopérer. Ces derniers seraient passibles d'une amende de 1,5 million d'euros ou pouvant atteindre jusqu'à 2% du chiffre d'affaires annuel hors taxe.
À travers ces dispositions, les sénateurs tentent de donner corps à une vieille ambition sécuritaire des gouvernements. Ces dernières années, la plupart des ministres de l'Intérieur français sont montés au créneau pour dénoncer les blocages des enquêtes causés par l'utilisation de messageries chiffrées par des personnes mises en cause dans des affaires de terrorisme ou de narcotrafic, notamment.
En 2015, Bernard Cazeneuve avait mis en cause les messageries privées dans l'organisation des attentats de Paris. En 2017, le candidat Macron avait indiqué vouloir forcer les plateformes à collaborer avec la justice pour lutter contre le terrorisme. Les mêmes arguments avaient été repris par Gérald Darmanin après l'attentat d'Arras l'an dernier. C'est aujourd'hui au tour de Bruno Retailleau de réclamer la création d'une porte dérobée dans les messageries privées.
"Aujourd'hui, on n'a plus affaire à des amateurs. Ces gens-là se cachent derrière le chiffrement, derrière des techniques. Il faut que les opérateurs, lorsqu'il y a une réquisition, puissent donner les clés qui nous permettent de comprendre. (...) L'idée, c'est de demander ces clés de déchiffrement sans que les opérateurs nous opposent des clauses contractuelles comme ils le font aujourd'hui", a notamment lancé le ministre de l'Intérieur devant les sénateurs mardi.
Depuis plus d'une décennie désormais, les auteurs d'actes de terrorisme, les criminels ou les narcotrafiquants n'échangent plus par téléphone mais via des messageries chiffrées. Ils utilisent des solutions grand public mais aussi des plateformes créées spécialement à cet effet, comme Encrochat, ou ne pouvant être installées que sur des smartphones modifiées, comme Sky ECC. Avec ces outils, si un message est intercepté par des enquêteurs, il est quasiment impossible à déchiffrer, en raison de la solidité des algorithmes. Les services ne peuvent pas exploiter ces réseaux chiffrés sans disposer d'un accès physique à un appareil qui y est connecté, ce qui limite leurs moyens d'actions.
Face à ce constat, les dirigeants politiques aimeraient que les entreprises derrière ces messageries coopèrent, ou à défaut, que la loi les oblige à le faire pour débloquer l'accès des comptes suspects pour les enquêteurs.
Ces mesures s'annoncent toutefois difficiles à mettre en œuvre. Le chiffrement de bout en bout est un pilier essentiel dans la protection de la vie privée en ligne. Cette technologie garantit que seuls les participants à une discussion peuvent lire le contenu de leurs discussions et que les messages envoyés restent confidentiels, même pour les fournisseurs des messageries et les services de police. Les exceptions réclamées par les dirigeants politiques sont jugées dangereuses par les experts et contraires au principe même des protocoles de chiffrement : le fait d'introduire des portes dérobées pour accéder au contenu de ces messageries affaiblirait le niveau de protection de l'ensemble des communications, avec le risque de voir les brèches créées pour les services de renseignement exploitées par d'autres acteurs par la suite.
"Le chiffrement de bout en bout des communications ne saurait être fragilisé pour permettre des accès par des tiers, fussent-ils les services de renseignement. C'est tout un pan de la confiance dans les messageries qui s'en trouverait questionné", a déploré sur X le député Ensemble pour la République, Eric Bothorel. Si le texte venait à être définitivement adopté, les messageries chiffrées visées, comme WhatsApp ou Signal, seraient probablement dans l'incapacité de poursuivre leur activité en France plutôt que d'affaiblir une technologie sur laquelle elles basent une grande partie de leur succès. Lors de l'examen d'un règlement européen visant à instaurer une mesure comparable pour lutter contre la pédocriminalité, l'application Signal avait menacé de se retirer du marché européen l'an passé. Le patron de WhatsApp avait alors affirmé qu'il était opposé à tout texte de loi qui le contraindrait à affaiblir ou contourner le chiffrement protégeant les messages des 2 milliards d'utilisateurs de son application.
Par ailleurs, ces mesures auraient de fortes chances de se heurter au droit européen, qui pourrait empêcher la France d'appliquer de façon unilatérale de telles contraintes à des sociétés implantées dans d'autres Etats de l'Union européenne.
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