Pour mieux saisir et comprendre la détresse psychologique des enfants et des adolescents, fragilisés par la crise sanitaire qui dure maintenant depuis un an, RTL s'est rendu à Nantes, au Centre Hospitalier Georges Daumezon, dans l'unité de pédopsychiatrie, qui nous a exceptionnellement ouvert ses portes.
Cette unité pourrait ressembler à une école, avec ses dessins d'enfants, colorés, placardés sur les murs du réfectoire, ses tables alignées et ce long couloir qui mène vers un terrain de sport extérieur. Mais les activités se font sous la surveillance d'Emmanuelle Carasco, l'une des psychologues, en blouse blanche.
Les sept mineurs qui participent à cet atelier sont tous déscolarisés, souffrent de troubles sévères de la relation et du comportement. Une façon d'observer ces patients et de voir comment ils interagissent dans un groupe.
Le confinement a ajouté quelque chose en plus, qui fait encore plus mal.
Une patiente de 14 ans
À l’écart des autres, une jeune fille est prostrée, assise dans l'herbe. Elle est arrivée il y a quelques jours et refuse de jouer. La soignante s'approche, pour nouer le dialogue. Elle n'aime pas le sport et parle même d'une "phobie des ballons". Depuis le début de la crise sanitaire, l'adolescente de 14 ans fait face à des crises d'angoisse.
"Le fait de pas pouvoir sortir, de ne pas pouvoir faire certaines activités, de ne pas voir des personnes que j'aime... Les seuls trucs qui me tiennent un peu en vie en fait..., explique-t-elle. Le confinement a ajouté quelque chose en plus, qui fait encore plus mal. Ma grande tristesse, cette dépression, fait que, des fois, j'ai juste envie que ça s'arrête. Ça peut être l'envie de disparaître tout simplement..."
Les lacets de ses chaussures ont été retirés par mesure de sécurité. Le coronavirus aggrave les problèmes surmontés jusque-là, explique la psychologue. "Il n'y a plus d'espaces où on peut reprendre notre souffle. Quand on est tous à domicile, ça exacerbe toutes les tensions. Des jeunes sont arrivés après des violences intra-familiales ou des phobies de contamination", raconte-t-elle. Une détresse inédite a été observée chez ces mineurs : plus de 2/3 ont été hospitalisés après avoir tenté de se suicider.
Après chaque activité, les enfants bénéficient d'un temps d'isolement, indispensable pour se recentrer, apprendre à combattre leurs angoisses... Ils passent du temps dans leurs chambres, pas de téléphone portable ou d'écran. Un lit, une chaise et une commode.
[Le confinement] nous a enfermé ensemble.
Thomas, patient de 15 ans
Longues mèches blondes, visage juvénile, Thomas est âgé de 15 ans. Enfant adopté, il s'est replié sur lui-même et le confinement l'a fait basculer. "Avec mes parents, c'était compliqué. Il fallait que je m'éloigne, témoigne-t-il. Je restais dans ma chambre et je ne parlais qu'avec mes potes en ligne. [Le confinement] nous a enfermé ensemble. Il y avait une overdose". L'adolescent est devenu violent, a frappé son père. La police est intervenue à plusieurs reprises. Sur ses avant-bras, il conserve de profondes cicatrices liée à une automutilation.
Aujourd'hui, son emploi du temps est minuté, personnalisé : manger, dormir, prendre ses médicaments, participer à des ateliers, loin des problèmes extérieurs. Le garçon reçoit la visite de ses parents, une fois par semaine. Son père, Fabrice, cadre supérieur pour une grande entreprise française, se sent démuni : "Quand on a un quotidien qui est anxiogène du matin au soir, les plus sensibles en pâtissent. Soit, on met en place des choses et il sort de son adolescence de façon plus sereine et ça lui permet de se construire de façon plus positive, soit ça viendra entacher son futur..."
Dans cet établissement, l'hospitalisation est limitée à quelques semaines seulement. Le père de famille recherche donc déjà une autre structure, prête à accueillir son enfant, plus longtemps. En effet, cet établissement spécialisé ne peut pas faire face à toutes les demandes. Le tri des patients est une réalité. Chaque semaine par exemple, l'équipe soignante fait un point sur les demandes d'hospitalisation.
Avec 21 lits disponibles en pédopsychiatrie pour couvrir un département de près d'un million et demi d'habitants, les médecins estiment qu'il en faudrait deux fois plus pour pouvoir prendre en charge tous les enfants qui en ont besoin.