L'ombre de Patrick Buisson risque de planer longtemps sur
Nicolas Sarkozy. Considéré par certains comme responsable de la défaite du président-candidat en
2012, le politologue aux thèses réactionnaires pourrait bien passer à la postérité comme celui qui a placé le Président sur écoute. "Comble de la déloyauté", "pratiques détestables", "répugnant" : les mots des ténors de l'opposition ne sont pas
assez forts pour exprimer le malaise suscité dans les rangs de l'UMP par ce
qu'il convient désormais d'appeler le "Buissongate". Un comble pour cet archétype de l'éminence grise, plus à l'aise dans les coulisses du pouvoir qu'exposé dans la lumière de l'arène politique.
Avant de conseiller Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson a longtemps gravité dans les milieux de l'extrême-droite. Biberonné au culte maurrassien par un père membre de l'Action française et une mère anti-soviétique partisane de l'Algérie française, le jeune Patrick Buisson connaît ses premiers émois politiques à Nanterre. C'est là qu'il étudie à la fin des années 1960, une époque dominée par les idéologies communiste et gauchistes. Un univers hostile qui le pousse à s'investir dans la Fédération nationale des étudiants de France, un syndicat de droite dure, dont il devient rapidement le vice-président, proche du grand-frère Occident.
Il rejoint l'hebdomadaire d'extrême-droite Minute en 1981, parallèlement à l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir. La gauche fait alors main basse sur la radio et la télévision publiques. Minute sonne la résistance et une caisse de résonance unique s'offre à lui pour faire entendre sa voix dans la lutte contre les socialo-communistes et s'approprier enfin les dogmes du maître à penser de l'Action française. Fort d'un réseau conséquent, il citait fièrement Pasqua, Gaudin et Le Pen parmi ses sources, rapporte Le Point, il révolutionne les méthodes des journalistes de l'hebdomadaire, en se faisant notamment accréditer à l'Élysée et donne à Minute ses premières lettres de respectabilité.
Il brocarde alors la gauche caviar, fustige son affairisme et ses relations. Par exemple Laurent Fabius, au sujet duquel il écrit qu'il "a grandi dans un hôtel particulier à l'ombre de la colline de Chaillot, entre un père antiquaire et une mère issue d'une famille de diamantaires", rapporte Le Nouvel Obs. À la tête de l'hebdomadaire entre 1986 et 1987, il œuvre également pour l'union de toutes les droites, FN-RPR-UDF, convaincu que les frontières entre un électeur de centre-droit, de la droite parlementaire et de l'extrême-droite sont ténues.
Il tisse alors des liens dans toutes les formations et pilote au milieu des années 1980 un Guide de l'opposition, à la une duquel s'affichent Jacques Chirac, Jean-Marie Le Pen et Valéry Giscard d'Estaing. Ces années le voient également s'impliquer en 1983 dans la campagne municipale de Jean-Claude Gaudin à Marseille. Il devient particulièrement proche de Jean-Marie Le Pen, dont il décline la proposition de devenir député frontiste en 1986. Dépeint comme un homme secret, vivant comme un moine, il quitte l'hebdomadaire en mai 1987, soupçonné, déjà, d'avoir placé des micros au sein de la rédaction, et prend les rênes de .
Conseiller de l'homme d'affaires Jimmy Goldsmith, candidat aux européennes de 1994, puis de Philippe de Villiers, dont il cosigne une biographie avec un journaliste de Valeurs actuelles, Patrick Buisson continue de frayer avec l'extrême-droite tout en naviguant vers des horizons moins radicaux. Avec l'ensemble des directeurs des instituts de sondage, il lance la revue Politique Opinion en 1996. En 2000, il pilote la page "Opinion" du Figaro avant de créer et animer plusieurs émissions politiques sur LCI, dont 100% Politique à partir de 2001, puis de prendre la direction de la chaîne Histoire en 2007.
Séduit par le personnage Sarkozy, qu'il a vu grandir politiquement à Neuilly, il rejoint les rivages républicains après le "non" français au référendum sur l'Europe de 2005 et devient le pendant parfait du gaullisme social d'Henri Guaino auprès du ministre de l'Intérieur. Une fois à l'Élysée, durant cinq ans, le conseiller de l'ombre va accompagner le Président partout. Il est l'homme de confiance, l'éminence grise, présent à chaque décision importante. On lui prête les transgressions les plus violentes du Président. La ligne radicale tant décriée dans la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. La tolérance zéro, c'est lui. L'identité nationale, c'est encore lui. Beaucoup reconnaissent également sa patte dans le discours de Grenoble, fondateur du tournant droitier du Président.
Une posture et une proximité avec le locataire de l'Élysée qui lui valent de nombreuses inimitiés dans les rangs de l'UMP. François Barouin, Nathalie Kosciusko-Morizet ou Dominique Bussereau l'abhorrent. Accusé d'avoir fait perdre Sarkozy en 2012 par la branche humaniste du parti, Patrick Buisson devait disparaître des radars à la faveur de l'élection de François Hollande. Mais malgré quelques tensions, comme de Nicolas Sarkozy dans Valeurs Actuelles, les deux hommes ont continué de se voir, occasionnellement. Pour "foutre les socialistes dehors", affirmait Buisson à Libération. Pas sûr, toutefois, que leur relation résiste à l'affaire des enregistrements.