C'est une bizarrerie institutionnelle que le calendrier électoral de la Vᵉ République essaye pourtant d'éviter soigneusement. Traditionnellement, en France, c'est l'élection présidentielle qui donne le la. Quelques semaines après ce scrutin-roi, les législatives ont lieu et une majorité, presque systématiquement de la même couleur que le président élu, émerge. Ainsi, majorité, gouvernement et présidence gouvernent comme un seul homme.
Ce "fait majoritaire" comme l'appellent les constitutionnalistes est une protection idéale pour éviter l'instabilité du pouvoir. Hors de question pour les créateurs de la Vᵉ République de revivre les affres des IIIe et IVe Républiques. Mais si une dissolution intervient et, avec elle, des élections législatives anticipées et que majorité et opposition échangent leurs rôles, alors le pouvoir exécutif connaît ce que l'on appelle une cohabitation.
Lors d'une cohabitation, le président de la République perd sa majorité à l'Assemblée nationale. Une nouvelle majorité, souvent en opposition frontale avec la politique menée jusque-là par l'exécutif, va désormais gouverner. Le président doit donc faire démissionner son actuel gouvernement, choisir le chef de file de la nouvelle majorité comme Premier ministre et, ensemble, ils vont composer un gouvernement de cohabitation.
Attention, la cohabitation ne signifie pas du tout que le président de la République, affaibli par la situation, doive manger son chapeau sur tous les domaines. La cohabitation est un moment où des compromis réels sont trouvés et où chacun dispose d'espace de liberté pour gouverner ou présider. Le président de la République continue de bénéficier de son domaine réservé : des pouvoirs conférés par son statut de chef de l'État et des armées, élu au suffrage universel direct.
L'expression "domaine réservé" a été théorisée par Jacques Chaban-Delmas en 1959. Elle signifie que le président de la République reste maître en matière de diplomatie et de défense. Le gouvernement, lui, bénéficie de la plus grande partie des pouvoirs grâce à la Constitution qui dans son article 20 explique clairement qu'il est le seul à pouvoir "déterminer et conduire la politique de Nation".
Cependant, même en matière de défense et d'affaires étrangères, il ne faut pas croire que le Premier ministre soit condamné à suivre aveuglément les décisions élyséennes. Dans la pratique, le président et son Premier ministre prennent des décisions conjointes, après un dialogue. L'expression "domaine partagé" est sans doute plus proche de la réalité.
La qualité de la cohabitation et la frontière entre les deux têtes de l'exécutif dépend aussi fortement des personnalités en place. Un Jacques Chirac a eu plus de difficulté à gouverner avec François Mitterrand en majesté à l'Élysée, alors qu'il est de notoriété publique qu'il s'est bien entendu avec son Premier ministre socialiste Lionel Jospin quelques années plus tard.
La dissolution par Emmanuel Macron et l'organisation de législatives anticipées laissent envisager une nouvelle cohabitation entre un président de la République et un Premier ministre de bords politiques opposés, un scénario qui a déjà eu lieu trois fois sous la Vᵉ République, sans avoir provoqué de crise majeure.
1986-1988 : Mitterrand et Chirac, la plus tumultueuse
"Pas de cogestion" : c'est la consigne du président François Mitterrand à ses collaborateurs quand l'échec de la gauche aux législatives le force à une cohabitation de deux ans. Il faut laisser le gouvernement de Jacques Chirac "déterminer et conduire la politique de la nation", conformément à l'article 20 de la Constitution.
Matignon met vite en œuvre son programme, fait voter au pas de charge privatisations, réforme électorale, réforme de l'audiovisuel... Le 14 juillet 1986, c'est la première crise ouverte, François Mitterrand annonce qu'il ne signera pas les ordonnances proposées par le gouvernement pour la privatisation d'entreprises publiques. Jacques Chirac menace de démissionner, puis cède : les projets d'ordonnances se transformeront en projet de loi.
Par la suite, en intervenant publiquement sur les sujets de son choix, telle la statue du commandeur, François Mitterrand prive le gouvernement d'un soutien utile dans les moments délicats.
Fin 1986, le gouvernement doit retirer son projet de réforme universitaire après la mort de l'étudiant Malik Oussekine, frappé par des policiers. Mitterrand ne se prive pas de se déclarer "en phase" avec les contestataires.
À l'approche du scrutin présidentiel, la cohabitation se tend encore avec la crise des otages du Liban et l'assaut sanglant de la grotte d'Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie.
L'animosité accumulée par Mitterrand et Chirac explose sous les yeux des Français au cours de leur duel télévisé d'avant second tour. En mai 1988, François Mitterrand n'a plus qu'à recueillir les fruits de sa stratégie, il est réélu haut la main.
1993-1995 : Mitterrand et Balladur, la plus "courtoise"
Le scénario se répète au printemps 1993. Le Premier ministre RPR désigné par François Mitterrand est le théoricien de la cohabitation, Edouard Balladur, déjà ministre d'État en 1986-1988. Le chef du gouvernement dispose cette fois d'une majorité parlementaire écrasante.
La cohabitation n'en est pas moins "courtoise", selon lui. Certains parleront de "cohabitation de velours". Ce meilleur climat est dû aussi au fait que les protagonistes ne s'affronteront pas dans une campagne présidentielle.
Il y a quand même des moments de vifs désaccords : sur la suspension des essais nucléaires décidée par le président, la réforme de la loi Falloux sur l'enseignement privé et le droit d'asile.
La maladie du chef de l'État, dans les derniers mois de son second mandat, permet à Edouard Balladur d'élargir quelque peu ses prérogatives. Acceptant mal de voir le Premier ministre s'avancer trop sur le terrain de la diplomatie, François Mitterrand rappelle toutefois solennellement sa prééminence dans le domaine de la politique étrangère.
1997 - 2002 : Chirac et Jospin, la plus longue
Début juin 1997, le président Chirac est depuis deux ans au pouvoir. Mais, six semaines après avoir décidé de dissoudre l'Assemblée nationale en pariant à tort sur une victoire de la droite, il se voit contraint de partager le pouvoir avec les socialistes. Lionel Jospin arrive à Matignon.
Le président opte pour "une cohabitation constructive" et n'empêche pas le Premier ministre de gouverner. Quand, le 14 juillet 1997, Jacques Chirac revendique quand même le droit d'avoir le dernier mot, le Premier ministre le lui conteste aussitôt. Que ce soit sur les 35 heures, la Corse, l'inversion du calendrier électoral, la vache folle, la justice et les affaires, de nombreux incidents, plus ou moins importants, émaillent ces cinq années de partage du pouvoir.
Mais les deux hommes parviennent peu ou prou à sauvegarder les apparences sur la scène internationale pour ne pas affaiblir le poids de la France. La nécessité de parler d'une seule voix lors des diverses rencontres européennes ou des crises (frappes de l'Otan en ex-Yougoslavie, crise afghane) provoque parfois l'incompréhension dans leurs camps respectifs.
Dès 1997, Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui s'étaient déjà affrontés lors de la présidentielle de 1995, savaient qu'ils seraient de nouveau en concurrence cinq ans plus tard. C'est Jacques Chirac qui sera reconduit à l'Élysée avec une majorité à l'Assemblée
Bienvenue sur RTL
Ne manquez rien de l'actualité en activant les notifications sur votre navigateur
Cliquez sur “Autoriser” pour poursuivre votre navigation en recevant des notifications. Vous recevrez ponctuellement sous forme de notifciation des actualités RTL. Pour vous désabonner, modifier vos préférences, rendez-vous à tout moment dans le centre de notification de votre équipement.
Bienvenue sur RTL
Rejoignez la communauté RTL, RTL2 et Fun Radio pour profiter du meilleur de la radio
Je crée mon compte