Cela fait exactement 26 ans que les familles de Pol Créton et François Picard attendent de savoir qui a tué leur proche. Exécutés sans autre forme de procès le 13 octobre 1996, à l'entrée d'un stand de tirs où ils venaient s'entrainer. Ce dernier, situé sur un terrain militaire de Guilers, près de Brest, a forcé le ou les auteurs de ce crime à prendre tous les risques pour parvenir à leurs fins.
Pas moins de neuf juges d'instruction vont se succéder dans ce dossier, toujours ouvert aujourd'hui. La gendarmerie puis la police mènent tour à tour les investigations sans jamais parvenir à trouver le mobile du double crime.
On envisage toutes les hypothèses. Le bois de Keroual, dans lequel est situé le stand de tir, était connu pour être un point de deal important de la région. Auraient-ils fait une mauvaise rencontre ? Aurait-on tenté de leur voler leurs armes ? Et s'ils avaient été attaqués par des toxicomanes ou des gens issus de la communauté du voyage ?
Ce dimanche 13 octobre 1996, aux alentours de 9 heures du matin, René A., membre du club de tir de l'Union Sportive et Artistique de la Marine, s'engouffre au volant de sa voiture dans un court chemin de terre, en bordure du bois de Keroual, sur la commune de Guilers.
À peine René a-t-il posé le pied sur le parking qu'il perçoit trois détonations rapprochées. Il se dirige vers l'entrée du stand de tir et sous ses yeux, comme assis contre le mur taché de sang, la tête légèrement renversée sur le côté, il y a un homme inerte. Il se précipite et reconnaît immédiatement un membre du club, François Picard. Il est environ 9h15 quand l'alerte est donnée.
Juste à côté, un autre homme gît face contre terre. Rapidement, les secours, les gendarmes locaux et ceux de la section de recherches de Rennes sont sur place. Les deux victimes sont François Picard, 52 ans, militaire. Et Pol Creton, 32 ans. Deux adhérents au club de tir.
Le légiste établit sans difficulté que militaire et le scientifique ont été tués d'une façon strictement identique. Chacun a reçu trois balles, deux dans le thorax, une troisième près de la nuque destinée à les achever. La mort a été foudroyante. Six cartouches de 22 long rifle ont donc été tirées, des douilles sont au sol.
L'arme utilisée est une carabine Marlin, arme courante de chasse et de tir sportif. Les gendarmes constatent que les victimes ont été dépouillées de leurs portefeuilles. Le briquet Zippo de François Picard a disparu, tout comme son arme personnelle, un 357 Magnum. Ainsi que sa mallette de tir dans laquelle il transportait deux pistolets 22 long rifle, des cartouches et quelques accessoires.
Curieusement, s'il s'agit de malfrats qui cherchaient des armes, ils n’ont pas cherché à pénétrer dans le stand de tir. La clé est encore sur la porte. Et les voitures des victimes n'ont pas été fouillées.
À moins que la vérité se cache dans les profils des deux victimes. Pol Creton, était technicien au centre maritime Océanopolis. Un homme sans histoire. En revanche, le second homme tué avait une vie professionnelle qui interpelle davantage.
Le colonel François Picard était un haut gradé militaire, capitaine de vaisseau et pharmacien, en charge d'un dossier sensible : la surveillance de la radioactivité du port de Brest. Cet homme, habilité au secret-défense, aurait-il été visé pour les données qu'il avait en sa possession? La rade de Brest était-elle contaminée par les matières nucléaires à force d'opérations militaires ?
L'expédition pourrait avoir tourné court pour les tueurs. Une hypothèse envisagée après avoir retrouvé la mallette volée de François Picard, qui était censée contenir 3 armes. Après l'avoir volée, les auteurs l'ont faite tomber, avec l'un des pistolets.
Le meurtre semble pourtant être l'œuvre d'un professionnel, ce qui dénote avec la thèse d'une fuite dans la précipitation. L'absence de trace ADN laisse entendre que les individus portaient des gants. Ce coup avait été préparé. Le grillage par lequel ils ont accédé au terrain militaire a été découpé au préalable, sur deux mètres de haut.
Un crime commandité ? Le lendemain, on retrouve les papiers des victimes dans une poubelle, à la gare de Landerneau, qui se trouve à 30 minutes du lieu du crime. Un manque de stratégie qui dénote avec le reste : comme si l'auteur souhaitait que les papiers soient découverts. Cela aurait peut être permis au tueur de revendiquer ce meurtre.
Enfin, des témoins affirment avoir croisé 2 hommes qui courraient, à l'heure et sur les lieux des crimes. Une description exhaustive est faite et un véhicule est identifiée. Une Talbot-Horizon bleue dans laquelle les individus se sont engouffrés.
Aujourd'hui, la seule preuve encore viable qui pourrait permettre de confondre les suspects est de l'ADN retrouvé sur un mégot.
- Me Bertrand Labat, avocat au barreau de
Brest.
- Jean-Claude Picard, frère de François Picard.