Affaire Christian Jambert : l'étrange suicide de l'enquêteur des disparues de l'Yonne

Vendredi 22 juin 1984, Christian Jambert, adjudant à la brigade de recherches d'Auxerre, adresse un long rapport à Daniel Stilinovic, substitut au tribunal de la ville. Un procès-verbal de synthèse qui indique que les six disparitions de jeunes femmes sur lesquelles il travaille, sont toutes liées. Jusque-là, la justice ne s’est jamais intéressée à ces filles. Les vérifications sont restées superficielles. 

Jacqueline Weis, 18 ans, Chantal Gras, 18 ans, Madeleine Dejust, 21 ans, Françoise et Bernadette Lemoine, 29 et 19 ans, et Martine Renault, 16 ans, sont toutes des filles de l'assistance publique. Placées dans des foyers, la plupart sous tutelle, fragiles, isolées. Le gendarme Jambert note derrière ces disparitions - survenues entre 1977 et 1979 - la présence d'Émile Louis. Ce chauffeur de car des Rapides de Bourgogne connaissait les filles. 

Après avoir rendu son rapport, Christian Jambert attend que le juge Bourguignon ouvre une enquête sur Émile Louis. Il l’a même contacté. Mais rien ne bouge. Le gendarme ignore alors que procès-verbal s'est mystérieusement perdu au tribunal. Le substitut Stilinovic affirmera avoir transmis le document mais ignorer où il est passé. Le juge Bourguignon dira ne l'avoir jamais reçu. 

La révélation Pierre Charrier

En 1987, Christian Jambert quitte la brigade de recherches d'Auxerre. Il est muté dans la Nièvre. Il s’en va avec une certaine amertume, désespéré qu’aucune enquête sur les six, puis sept disparues de l'Yonne, n'ait été ouverte. "Il avait compris beaucoup de choses. Il a eu véritablement un sens très approfondi des responsabilités qui lui incombaient. C'était un peu un enquêteur solitaire. Il a fait un travail qui était absolument capital pour le déroulement des actes de procédure ultérieures", rappelle Jean-Pierre Getti, président de la cour d'assises lors du procès d'Émile Louis, dans L'Heure du Crime, sur RTL.

Vendredi 6 octobre 1989, Christian Jambert tique sur le titre à la Une du journal L'Yonne Républicaine titre à la Une : Un notable auxerrois inculpé de viol. L'homme n'est pas n'importe qui : Pierre Charrier a été secrétaire général de l'association pour adultes et jeunes handicapés de l'Yonne. Directeur de foyers spécialisés dans la région. Jambert remarque alors que quatre des disparues de l'Yonne fréquentaient des établissements administrés par ce même Pierre Charrier, dont l'institut Grattery à Auxerre. Émile Louis y avait ses entrées.

Mercredi 3 juillet 1996, l'association de défense des handicapés de l'Yonne, et son président Pierre Monnoir, demande une enquête sur les disparues de l’Yonne. Ce jour-là, Pierre Monnoir est au palais de justice d'Auxerre avec l'avocat de l'association, Me Pierre Gonzalez de Gaspard. Une plainte est déposée pour enlèvements et séquestrations. La plainte est rejetée. Les faits seraient prescrits.

Une mort qui interroge

Lundi 4 août 1997 au matin, Philippe Jambert rend visite à son père Christian, dans un pavillon d'Auxerre. Le fils de Jambert trouve la porte de la maison ouverte, alors que son père la garde toujours fermée. Sur une table, une lettre d'adieu destinée à Isabelle, sa fille et sœur de Philippe. Les gendarmes découvrent le corps au sous-sol. Christian Jambert s'est tiré une balle de 22 long rifle dans la tête. La carabine est au sol.

Mardi 5 novembre 2002, le procureur d'Auxerre, qui avait d’abord classé la mort de Christian Jambert en suicide, ouvre une information judiciaire. La fille du gendarme, Isabelle, est interpelée par de nombreux éléments suspects et notamment la disparition d'une sacoche jaune qui appartenait à Jambert. Elle contenait des notes sur l'affaire des disparus. En 2004, le corps est exhumé. Le docteur Dominique Lecomte détecte l'existence de deux orifices au niveau de la tête. Jambert se serait donc suicidé de deux balles, une dans la bouche, un tir près de la lèvre supérieure, l'autre dans la tempe.

Décembre 2007, le corps du gendarme Christian Jambert est exhumé une deuxième fois. De nouvelles expertises balistiques doivent être menées. Les experts constatent alors que plusieurs os du crâne ont mystérieusement disparu. Lundi 31 janvier 2011, le parquet d'Auxerre indique qu'un non-lieu est délivré dans le dossier de la mort de l'adjudant. L'hypothèse du suicide est finalement retenue. "Il faudrait qu'une commission parlementaire d'enquête puisse mettre tout à plat et voir tous les dysfonctionnements", estime Jean-Marie Rouart, romancier et membre de l'Académie française. 

Les invités de "L'Heure du Crime"

- Jean-Pierre Getti, ancien magistrat et président de la cour d'assises lors du procès d'Émile Louis. 
Auteur de l'ouvrage : Juger à hauteur d'homme publié aux éditions Michalon.
- Jean-Marie Rouart, romancier et membre de l'Académie française.
Auteur de l'ouvrage : Drôle de justice publié aux éditions Albin Michel. 

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