Élection en Turquie : pourquoi la jeunesse peut faire basculer l'élection

Les Turcs se rendent aux urnes ce dimanche 14 mai pour des élections sous haute tension, avec la présidentielle et les législatives le même jour. Le vote, qui s’annonce très serré, pourrait voir Erdoğan perdre le pouvoir après 20 ans à la tête de la Turquie. Deux décennies qui ont vu grandir toute une génération sous son règne, et qui vote ce dimanche. Cette génération de primo-votants, qui représente 8% des électeurs, pourrait même faire basculer le vote. Plus de 5 millions de jeunes de 18, 19 ou 20 ans vont aller pour la première fois de leur vie dans un bureau de vote. 

Une génération qui a grandi avec Recep Tayyip Erdoğan et son parti, l’AKP, à la télévision matin, midi et soir. Une génération qui n’a jamais connu l’alternance et qui souvent, comme Mustafa, un étudiant de 19 ans, glissera un bulletin pour l’opposition dans l’urne. "Je vais voter pour Kemal Kiliçdaroglu (le leader de l'opposition) parce que je pense que ce pays a besoin de changement. Ma famille, elle, vote pour Erdoğan. Je n’ai pas l’impression de vivre en Turquie, j’ai l’impression d’être dans le pays de l’AKP", déplore jeune homme. 

De la difficulté de vivre dans une famille pro-Erdoğan

Mais il n’est pas toujours simple de s’émanciper d’une famille pro-Erdoğan dans cette génération. Certaines font pression pour que leurs enfants votent pour le président sortant... et vont jusqu’à demander des preuves ! Sur les réseaux sociaux, beaucoup de vidéos expliquent comment retoucher rapidement une photo et mentir à ses parents. "Si tu veux voter pour un autre candidat qu’Erdoğan mais que ta famille te force et te dit : je veux une photo de toi dans l’isoloir quand tu as voté, sinon je te déshérite; il y a une solution on va voir ça ensemble…", conseille une jeune femme. 

Ces jeunes Turcs ne manquent pas d’imagination ni de courage. Malgré la censure pesante dans le domaine des médias, une émission politique sur YouTube connaît un énorme succès ces derniers temps avec des dizaines de millions de vues. Le principe est simple : un politicien est invité et fait face à un public de jeunes qui n’hésite pas à poser les questions qui fâchent. Un petit candidat à la présidentielle s’est d’ailleurs énervé il y a quelques semaines. Grave erreur, une jeune femme dans le public n’a pas hésité à le remettre à sa place. "On n'en peut plus qu’on nous parle comme ça, qu’on se comporte comme ça avec nous… Et on veut changer ça. Si vous êtes déjà comme ça, qu’est-ce que ça sera quand vous serez au gouvernement ?", demande-t-elle, en colère. 

L'inflation, préoccupation première

Si une majorité de jeunes soutiennent le candidat de l'opposition d’après les sondages, ils sont aussi nombreux à soutenir le président turc. "C’est parce que des gens sans intérêt font de la propagande sur les réseaux sociaux. Les gens y croient et pensent que la plupart des jeunes vont voter pour l’opposition", assure Emre, 18 ans. Mais il reconnaît que la situation économique joue contre Erdogan. Avec 44% d’inflation en avril, après un pic à 85% en octobre dernier, la hausse des prix des loyers et de l’alimentaire est la principale préoccupation des Turcs. "On va au marché mais on achète rien. Si tu peux prendre deux kilos de tomates c’est déjà bien !", soupire Ibrahim, un retraité qui votera pour Kemal Kiliçdaroglu, le candidat de l’opposition. Ce dernier a fait campagne sur le thème de l’inflation, dénonçant la hausse du prix des oignons ou des factures d’électricité. 

Le président Erdoğan a lui mis en avant ses grandes réalisations dans l’industrie de défense, comme les drones turcs ou encore les nouveaux bâtiments de la marine. "Les Tanks, les avions, les navires… Ils cherchent la guerre. Nous on cherche du pain ! Je vais le manger leur bateau ?!", s'emporte Ibrahim. Dimanche, de nombreux Turcs penseront à leur frigo, au prix des courses et aux salaires en entrant dans l’isoloir.