DOCUMENT RTL - Russie : "Ce sont les mêmes conditions qu'à l'époque du goulag", dénonce l'opposant russe Ilia Iachine

La rencontre a lieu quelque part à Paris, à une adresse tenue secrète. Veste de costume, petites lunettes, cheveux coupés court, Ilia Iachine s'habitue peu à peu à sa nouvelle vie en liberté. Il a repris les kilos qu'il avait perdu en détention. 

L'opposant au régime de Vladimir Poutine reste marqué par ces longs mois placé à l'isolement dans une colonie pénitentiaire de la région de Smolensk, dans l'ouest de la Russie. 

En 2022, il a publié sur son compte YouTube - alors suivi par 1,5 millions d'abonnés - une vidéo dénonçant les massacres de l'armée russe perpétrés en Ukraine. Arrêté en juillet 2022, accusé de "diffusion de fausses informations" par les forces russes, l'opposant a été condamné à huit ans et demi de prison. 

Ce sont les mêmes conditions que le goulag à l’époque de l’Union Soviétique

Ilia Iachine, opposant russe emprisonné

"La cellule faisait deux mètres sur trois sans fenêtres. Les gardiens vous réveillent chaque jour à 5 heures. On vous empêche de dormir. On relève la banquette de votre lit pour vous interdire de dormir. Vous avez le droit de lire 40 minutes le matin, 40 minutes le soir. Le reste n’est qu’ennui. Vous passez votre journée à marcher d’un mur à l’autre. Vous êtes debout, dans l’humidité et la saleté. Cela vous rend fou. Ce sont les mêmes conditions que le goulag à l’époque de l’Union Soviétique", détaille-t-il.

Le courrier lui a donné la force de tenir

Il y a le froid, la nourriture, les mauvais traitements infligés par les gardiens, mais le plus dur, c'est le manque de contacts avec ses proches et sa famille. Les visites sont interdites. 

"Ce qui m’a permis de tenir, c’est cette conviction que j’étais du côté de la vérité. Je ressentais une supériorité morale sur les personnes, les gardiens, les juges qui me persécutaient. Quand vous savez que ce que vous faites est juste, cela vous permet d’endurer ce que l’on vous impose. J’ai aussi reçu plus de 30 000 lettres de soutien de Russie et de l’étranger. On me les apportait dans de grands cartons. Avec un tel soutien, vous vous sentez d’une certaine manière libre", confie-t-il.

Le dissident est finalement sorti de prison le 1ᵉʳ août dernier après deux ans et demi de détention dans le cadre d'un vaste échange de prisonniers qui ont permis la libération de 26 détenus en Russie et dans cinq pays occidentaux. 

Libéré à la faveur d'un échange de prisonniers

Un matin, à sa grande surprise, le directeur de la prison vient lui annoncer qu'il va pouvoir retrouver la liberté. 

"Il est entré dans ma cellule et m’a demandé de signer une demande de grâce adressée au président Poutine. J’ai refusé, car c’est un criminel de guerre. Trois jours plus tard, sans explication, on m’a transféré à Moscou dans un centre du FSB. Le lendemain, on m’a mis dans un bus. Il y avait d’autres prisonniers politiques, certains que je connaissais. J’ai alors compris que nous faisions partie d’un échange de prisonniers avec l’Occident. Personne ne m’a demandé mon avis. J'ai été déporté", raconte-t-il.

Agé de 41 ans, Ilia Iachine est un ancien collaborateur de Boris Nemtsov, autre opposant assassiné en 2015 à Moscou. Celui qui a été élu local a participé à toutes les grandes manifestations contre le pouvoir de Vladimir Poutine. Echangé contre son gré, il apprend désormais à vivre, loin de son pays.

J’ai été un homme politique en prison, j’ai toujours revendiqué de pouvoir résister de l’intérieur

Ilia Iachine, opposant russe emprisonné

Expulsé de son pays

"C’est une stratégie de Poutine pour éloigner les opposants. J’ai été un homme politique en prison, j’ai toujours revendiqué de pouvoir résister de l’intérieur. Je n’ai pas eu le choix. Ce qui compte pour moi maintenant, c’est de tout faire pour enrayer le régime de Poutine qui détruit la Russie et l’Ukraine", explique-t-il. 

Aujourd'hui, Ilia Iachine refuse de se voir coller sur le front l'étiquette d'un successeur d'Alexeï Navalny mort en février en prison dans des conditions troubles. Mais il occupe une place centrale au sein de ce qu'il reste d'opposants à Vladimir Poutine. Il reste inscrit en Russie sur la liste des agents de l'étranger. 

En exil, ce Russe doit désormais inventer une nouvelle façon de résister. Il entend fédérer tout ce que la diaspora compte d'opposants au Kremlin dans un mouvement international pour la paix et la liberté. 

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