Alstom rachète la division Transports de Bombardier pour environ 6 milliards d’euros, afin de constituer une société qui pèsera 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec un carnet de commandes de plus de 20 milliards, tant le business du transport ferroviaire est florissant. Un monstre donc, de taille mondiale, qui pourrait faire pièce au numéro 1 mondial, le chinois CRRC, qui réalise encore l’essentiel de son chiffre d’affaires dans l’empire du Milieu, mais qui débarque en Europe. Je dis pourrait, l’emploi du conditionnel s’impose, car cet accord est soumis à l’approbation de la Commission européenne.
Souvenez-vous, il y a un an exactement, Alstom voulait fusionner avec l’allemand Siemens, exactement pour les mêmes raisons. Et le deal avait été bloqué par la Commission, qui craignait que la concurrence ne soit affaiblie par cet accord, au détriment des clients, les sociétés de chemin de fer, c’est-à-dire que les prix du matériel roulant ne montent. Cette fois-ci pourtant, on peut être plus optimiste. Parce que le vent a tourné.
La Commission est en passe de changer sa doctrine sous l’impulsion de plusieurs capitales, Paris, Berlin, Varsovie et Rome, qui ont manifesté leur désapprobation, justement après l’échec de la fusion entre Alstom et Siemens, l’année dernière. Bruxelles l’avait bloquée en ne considérant que le marché européen, sur lequel la fusion était en effet dominante. Alors qu’à l’évidence, il fallait considérer le marché mondial, sur lequel les Européens n’étaient pas dominants. Du coup, pour des raisons doctrinaires, Bruxelles avait affaibli l’industrie ferroviaire européenne, en l’empêchant de constituer un groupe important. Ce qui était quand même paradoxal. Les gouvernements en ont profité pour demander une révision de cette politique de concurrence.
L'arbitrage de Bruxelles dans les rachats d'entreprises est le résultat de règlements adoptés à la fin des années 1980, lorsqu’on construisait le marché unique européen, pour soumettre à autorisation tous les gros rapprochements d’entreprises, de façon à protéger le consommateur. Cela a été assez efficace. Mais le contexte géoéconomique a complètement changé depuis. Il y a eu d’abord l’émergence de la Chine, qui n’existait pas alors, et qui subventionne massivement ses entreprises pour qu’elles conquièrent le marché mondial, en Europe particulièrement.
Et puis, il y a l’irruption des GAFA, eux aussi des monstres, américains cette fois-ci, qui manifestement écrasent la concurrence. Et, plus largement, le réveil de la guerre économique entre les trois blocs, Chine, États-Unis et Europe, qui interdit que nous renoncions à nous défendre. D’autant qu’on se bat déjà à armes inégales. En Europe, nos marchés publics sont ouverts à la concurrence. Ce n’est le cas ni en Chine ni aux États-Unis.
Concernant la promotion des champions européens, il y a, de la part de Bruxelles, une prise de conscience nouvelle. Et tant mieux. Mais cela ne suffit pas. Si l’Europe veut se doter d’une vraie stratégie de puissance économique, il faut aussi que Bruxelles protège davantage les frontières commerciales. Airbus, par exemple, vient d’être frappé par des droits de douane pour ses ventes aux États-Unis. Bruxelles devrait répliquer, en taxant de façon symétrique les Boeing, enfin, ceux qui peuvent voler.