Un nouveau mot est en train d'apparaître chez les économistes : le jubilé. Le jubilé, dans les traditions anciennes, et dans la Bible en particulier, c'est l'annulation des dettes. Selon cette prescription, il faut faire table rase des engagements financiers tous les 49 ans, de façon à nettoyer et le système économique et la psychologie des hommes, de toutes les scories du passé.
Deux
économistes éminents, anciens responsables de premier plan, recommandent de
faire un jubilé, autrement dit, d'annuler les dettes qui vont s'accumuler à cause de la crise du coronavirus. Ce sont Mario Draghi, ancien patron de la Banque centrale
européenne, et Dominique Strauss Kahn, ancien patron du FMI.
Le plus inquiet est Draghi, qui a décrit dans le Financial Times il y a quelques jours la
menace d'une catastrophe de "proportions bibliques"
justement. Il recommande qu'on annule les dettes des entreprises. Dominique Strauss-Kahn, lui,
recommande l'annulation de la dette des États, au moins de ceux qui ont les plus
faibles revenus.
On l'a fait pour les pays pauvres, à plusieurs reprises, depuis les années 1980. Et de fait, Bruno Le Maire, sans le dire vraiment, a annoncé que l'État français allait le pratiquer pour les entreprises, sous la forme de reports de charges et d'impôts qui ne seraient jamais demandés.
Même procédé en Italie, où les ménages se sont vus
autorisés à ne pas payer les mensualités de leur crédit immobilier. En principe,
c'est un report, en réalité, il y a toutes les chances pour que ce soit une
annulation. Et la quasi-totalité des États face au Covid-19 se précipitent pour emprunter des centaines de milliards
comme s'ils n'allaient jamais les rembourser. Il y a depuis quelques semaines
une désinhibition totale et mondiale sur le recours à la dette.
Toute dette excessive est
destinée à ne pas être remboursée, c'est une loi maintes fois éprouvée dans
l'histoire financière. Si les États sont désinhibés, c'est aussi parce que le
motif de cette dette supplémentaire, la santé, est davantage justifiable que
les raisons habituelles. Et que bon nombre de pays sont dans la même situation.
Les États comptent en réalité sur leur banque centrale, pour leur faire crédit à très faible taux d'intérêt. Le Royaume-Uni vient par exemple de décider que la Banque d'Angleterre pourra désormais prêter directement au gouvernement, alors que c'était interdit depuis des décennies, pour éviter les dépenses excessives des politiques.
Et d'autres idées surgissent. Dans Les Échos ce vendredi 17 avril, l'homme d'affaires français Alain Minc propose de créer une dette perpétuelle, qui ne serait jamais remboursée, mais qui donnerait lieu à des intérêts. En France, c'est Cambon, le grand argentier de la Révolution française, qui a inventé ce système pour restructurer les finances troublées de l'État. Les dettes de la France ont alors été inscrites sur ce qu'on appelait le Grand Livre, et elles rapportaient 5% par an, sans jamais être remboursées.
Cela s'appelait la rente perpétuelle et faisait vivre les bourgeois et les familles nobles. Au XIXème siècle, cela était encore partiellement en vigueur jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Quant à aujourd'hui, vous le voyez, les esprits s'échauffent et lèvent les tabous. Nous entrons dans l'ère des expérimentations financières et monétaires : attachez vos ceintures.