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Violences envers les femmes : "Il faut briser le silence", "elle s'est fait violer"... Ces phrases à ne plus prononcer
Crédit : The Salvation Army
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Chaque année, le 25 novembre marque la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. L'occasion de rappeler les chiffres de ces violences physiques, sexuelles et psychologiques. Près d'un meurtre sur cinq en France résulte de violences conjugales. Les violences domestiques sont également la première cause de mortalité des femmes de 19 à 44 ans. L'an dernier, 118 femmes ont été tuées par leur conjoint, d'après le Haut conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes. En Europe, en 2015, une femme sur cinq est victime de violences. Une sur cinq également sera victime de viol ou de tentative de viol au cours de sa vie, d'après les chiffres de la Banque mondiale.
Au-delà des chiffres, les mots employés pour parler de ce phénomène ont aussi leur importance. Certaines expressions ou phrases contribuent à véhiculer des idées reçues qui nuisent aux victimes, en les culpabilisant encore davantage ou en les dissuadant de porter plainte. Marie Cervetti est directrice de l'association FIT-Une femme un toit, qui accueille à Paris des jeunes femmes en difficulté, et en particulier victimes de violences. Au fil de son engagement, elle a répertorié plusieurs de ces termes à bannir, et les analyse pour RTL.fr.
"Il faut briser le silence" est une phrase qui revient souvent quand on parle de violences, quelle que soit leur forme. L'idée est d'appeler les victimes et leurs proches à parler des violences, à témoigner. Selon Marie Cervetti, elle culpabilise les victimes qui n'y arrivent pas, qui sont incapables de parler de ce qu'elles subissent : "Tout ce qui est de l'ordre de l'injonction est à proscrire" même si cela part d'une volonté d'aider. "L'enfer est pavé de bonnes intentions, précise la directrice. Cela fait que les victimes se sentent encore plus nulles. C'est comme si, quand on est victime, on devenait coupable en ne prenant pas la parole. Il faut au contraire mettre l'accent sur le coupable, l'agresseur".
"Ce genre de phrases est facile à dire, poursuit Marie Cervetti. Mais nous sommes les premiers à nous taire au quotidien". Elle cite l'exemple d'un repas au cours duquel l'un des invités ferait des remarques sexistes ou déplacées : "Comme tout le monde, les femmes victimes sont habituées à se taire, nous sommes préparées à ces violences".
"Les expressions passives sous-entendent une part active de la victime dans les violences qu'elle subit", estime Marie Cervetti. À l'expression "elle s'est fait violer", ou "elle se fait battre" il vaudrait mieux préférer "elle a été violée" ou "son conjoint la bat", qui font, selon elle, plus clairement la distinction entre le statut de victime de la personne qui subit ces violences et celui de l'agresseur qui les commet.
Comme le constate Marie Cervetti au sein de l'association, beaucoup de femmes victimes de violences conjugales sont confrontées à l'incompréhension de leurs proches, de la police ou des magistrats, quand ceux-ci estiment qu'elles n'ont pas quitté leur domicile assez tôt ou se demandent pourquoi elles ne sont "simplement" pas parties de chez elle. "J'entends tout le temps la phrase 'elle n'a qu'à partir', explique la directrice. Ce qui sous-entend 'si elle ne l'a pas fait, c'est qu'elle aimait ça'".
Mais comme l'explique Marie Cervetti, quand la victime subit des violences de la part de son conjoint (ou de sa compagne, car les violences ne sont pas propres aux couples hétérosexuels) ou est victime de viol de la part d'un proche, elle doit non seulement se dire victime, "mais affronter la crainte de faire éclater sa famille, de se confronter à ses proches, au risque de n'être pas crue".
On oublie qu'une femme victime de violences conjugales est une femme amoureuse
Marie Cervetti, directrice de l'association FIT-Une femme, un toit
Selon elle, ces liens affectifs reliant la victime à son agresseur dans de nombreux cas et l'impact de ces violences sur le cellule familiale expliquent que certaines victimes choisissent de garder le silence. "L'angoisse de l'avenir est souvent plus forte que le besoin de faire respecter ses droits, analyse-t-elle. On oublie aussi qu'une femme victime de violences conjugales est une femme amoureuse. L'agresseur fait naviguer sa victime entre un 'je t'aime' et 'je te hais'. C'est très dur de rompre ce cercle affectif".
Un court-métrage publié en septembre dernier sur Viméo montre cet aspect souvent ignoré et pourtant au cœur du processus des violences conjugales. Intitulé Impardonnable, il est réalisé par Nicolas Doretti. Il rappelle avec tact qu'il n'est jamais facile de quitter quelqu'un, même quand il s'agit de se soustraire à sa violence.
Marie Cervetti rappelle aussi qu'en moyenne, pour qu'une femme parvienne à quitter le domicile de son conjoint violent, il faut compter sept allers-retours. "Quitter son environnement familial, c'est très dur, explique-t-elle encore. Cela explique que parfois, les proches de victimes se fatiguent, car cela prend du temps. Il faut accompagner la victime à son rythme, sans juger ni être dans l'injonction, sans la conforter dans le peu d'estime de soi qu'elle a déjà."
De la même manière qu'il n'est pas facile de parler des violences quand l'agresseur est un proche, porter plainte n'est pas une évidence. Il faut là aussi prendre en compte l'ascendant que l'agresseur peut exercer sur la victime, et les enjeux familiaux ou affectifs qui se jouent. "Il y a une pression permanente de l'environnement familial dans le cas des violences conjugales, rappelle Marie Cervetti. Il arrive très souvent que les agresseurs soient très sympathiques, qu'ils arrivent à convaincre la famille de la victime elle-même" et que la victime se retrouve de ce fait très isolée.
Or, comme elle le souligne, "isoler sa victime, c'est la stratégie de l'agresseur, cela fait partie du processus de domination". En matière de viol, on estime qu'en France une victime sur dix seulement porte plainte.
"Beaucoup d'avocats conseillent à leurs clientes victimes de viol de de passer en correctionnelle plutôt qu'aux assises", explique la directrice du FIT. Dans ce cas, le viol (un crime) est alors requalifié en agression sexuelle (un délit). "On leur fait miroiter que le coupable sera incarcéré plus rapidement et que le procès ira plus vite et que ça aura plus d'échos car ça passera entre des délits", explique-t-elle.
Mais selon elle, la victime paye très cher les conséquences de cette requalification, notamment parce que le terme de "viol" disparaît, alors qu'il est important de l'employer pour que la victime se reconstruise.
Marie Cervetti rappelle également que les termes utilisés dans les médias notamment, pour décrire les violences faites aux femmes, ont un impact direct sur les victimes. Certaines périphrases et euphémismes contribuent, selon elle, à occulter la réalité de ces violences. Elle cite par exemple le terme de "crime passionnel", employé pour parler du meurtre d'une femme par son conjoint ou ex-conjoint. De même, le mot "inceste" cache selon elle en partie la réalité, "il faut parler de 'viol par inceste', préconise-t-elle, et de 'viol collectif' plutôt que de 'tournante'".
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