Alors que 12 ex-membres de cette brigade vont être jugés en appel au mois de septembre pour des détournements de saisies et que le film Bac Nord de Cédric Jiménez a été décrié, exploité même par certaines personnalités politiques, nous plongeons avec "Tommy" (son prénom a été modifié) dans la réalité brutale des hommes, dont un équipage a été visé par des balles de kalachnikov en octobre dernier.
La scène s'est produite dans la cité de la Bricarde, à l'extrême nord de Marseille, le dimanche 3 octobre 2021. "On a été pris de court, on ne s’y attendait pas du tout et en sortant de l’immeuble, on s’est fait tirer dessus. On a dû se coucher au sol… et s’échapper. Ça fait tout drôle. Je pense qu’il y a une augmentation des armes en circulation, mais surtout, beaucoup de jeunes qui n’ont pas conscience de ce qu’ils font. S’ils nous tirent dessus à la kalachnikov, ils ne se rendent pas compte qu’ils peuvent tuer", raconte Tommy.
Ses "collègues" et lui ont peut-être été pris pour des "concurrents" par les tireurs. Une situation similaire a eu lieu quelques semaines plus tard à Lyon, là encore sans faire de blessés. Le parquet de Marseille a ouvert une enquête pour "tentative de meurtre" qui est toujours en cours.
J’ai choisi la BAC Nord parce
que Marseille c’est mythique, les quartiers sont hors-normesTommy, policier de la BAC Nord
Tommy approche la quarantaine. Derrière ses RayBan et son sourire aiguisé, celui qui se décrit comme "dopé à l’adrénaline" ressemble à un soldat incompris dans une guérilla mêlant poudre blanche et poudre noire. "D’autres policiers en tenue ne le comprennent pas toujours mais j’ai choisi la BAC Nord parce que Marseille c’est mythique, les quartiers sont hors-normes. Les gens appellent le 17, ils voient passer des personnes avec des armes à feu, qui tirent en l’air. Des gens sans casque sur des moto-cross sans plaque, même si ça tend à baisser. On recherche l’action toute la journée, il faut aimer ça. La dernière fois, on nous a balancé des caddies dessus. 6 ou 7 caddies de supermarché empilés, balancés de face pour tenter de stopper notre voiture. On a explosé un pneu et la carrosserie a pris aussi", détaille le fonctionnaire, toujours aux aguets.
Contrairement au film qui porte le nom de la brigade : pas de remontrance de la part de leur hiérarchie, qui assume ces pertes matérielles. Des véhicules sont pris pour cibles depuis les balcons lors des opérations houleuses. "Des gens qui n’ont rien à voir avec les délinquants stockent des oignons ou des yaourts dans des congélateurs. Ça durcit et ils nous les balancent dessus. Ça abîme nos capots, quand ça ne nous tombe pas directement dessus. On a conscience que l’on risque nos vies, mais si on ne le fait pas, qui va le faire ?"
Passé par la BAC du 91 en région parisienne, Tommy préfère les petits dealers marseillais. "À Paris, l’agressivité est exacerbée. On a déjà menacé de m’égorger. Alors qu’ici, ça n’a rien à voir, ils sont plus sympas. Même si sur le moment, ça reste des délinquants, au moins, on peut discuter. Je suis originaire de Marseille, certains de mes collègues ont grandi dans les quartiers Nord et pour moi ça reste la plus belle ville de France".
Ce policier croise des consommateurs âgés de 14 à 80 ans sur les points de "deal". Certains viennent même avec leurs enfants sur la banquette arrière. Quand il leur demande s'ils n’ont pas peur de prendre une balle perdue, ces derniers répondent : "Non non, c’est bon, ils se tuent juste entre eux".
Après avoir été pris pour cible à l’arme lourde, Tommy et son équipe ont été mis au repos quelques jours, avant de reprendre du service en bas des blocs. Sa prise de distance avec la dangerosité de son métier est à peine croyable : "Il faut tout prendre au second degré. Parce que sinon, ça vous bouffe et ensuite vous finissez par voir le mal de partout. C’est le problème et ça impacte votre vie de famille".
Il poursuit en confiant qu'"avec les années, on relativise tout, mais
vraiment tout. On assiste à des scènes vraiment dramatiques parfois. Avec des
enfants, avec les morts… vous voyez vraiment la misère. Si vous ne prenez pas
de recul, les images vont tout le temps vous revenir dans la tête. Comme le
jour où on s’est fait tirer dessus. Au début, l’adrénaline vous tient, vous
restez lucide. Mais quelques jours après, vous avez un retour de bâton quand
vous vous dites 'merde j’ai quand même failli y passer'".
Un
dernier mot sur le film polémique, "BAC Nord" de Cédric Jimenez : "la
plupart de mes collègues ont bien aimé. On aime bien les acteurs. Mais ça ne se
passe pas comme dans le film. Il n’y a pas un délinquant qui nous dit 'vous sortez de la cité ou vous ne mettez pas les pieds dans la
cité', c’est hors de question. Nous, on rentre dans toutes les cités et il
n’y a personne qui nous oblige à faire marche arrière. Même si parfois ça part
en vrille, comme à la Castellane il y a trois semaines, on entre partout. Parce qu’on
reste la BAC Nord".
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