1853. Emile Guérin installe son tout premier théâtre de Guignol dans le centre de Bordeaux. Le célèbre personnage lyonnais est arrivé sur les bords de la Garonne après une rencontre entre Emile, saltimbanque qui sillonnait les routes de France et le créateur de guignol Laurent Mourguet peu avant sa mort en 1844. Emile a tout de suite compris que ce petit bonhomme à la tête de bois allait devenir un membre à part entière de la famille Guérin. Depuis la toute représentation de Guignol à Bordeaux sous le Second Empire, la belle histoire de la famille de marionnettistes ne s’est jamais arrêtée.
Dans son appartement du centre de Bordeaux, David Guérin qui
succède à son père, grand père, arrière-grand-père et arrière-arrière-grand-père, héberge une impressionnante collection de marionnettes. "Elles
sont toutes faites de bois de tilleul et elles ont elles aussi traversé le
temps. La plupart ont plus d’un siècle et il faut leur redonner un petit coup
de neuf avec minutie de temps en temps".
"Je crois qu’elles ont une âme", confie Philippe, le père de David. "Lorsqu’on chausse la marionnette,
c’est l’expression dans notre métier, c’est exactement le même geste que faisait
nos aïeux. Cela peut paraitre bizarre mais je crois qu’il se passe quelque
chose d’inexplicable lorsque nous leurs donnons vies avec nos mains".
Chaque jour, Philippe et David joue le répertoire de Guignol dans le castelet qu’ils ont entièrement construit eux même et installé au cœur du parc bordelais. "Nous sommes totalement tributaires des conditions météos mais nous jouons par n’importe quel temps sauf si bien sûr c’est la tempête", explique Philippe en installant les chaises devant le petit théâtre avant le début de la représentation. Ce jour-là le soleil brille sur Bordeaux et c’est David qui se prépare en coulisse avant le début du spectacle. Il dépose méticuleusement les marionnettes sur une étagère.
"Ce sont tous les héros de l’univers de Guignol. Madelon son
épouse, Polichinelle, Gnaffron, le gendarme Flageolet". David
interprète une vingtaine de pièces écrites par le créateur de la marionnette au gré de son humeur sans se servir du moindre document écrit. "Je
les connais toutes par cœur depuis que je suis enfant. Elles font partie
de moi et dès que je tends les bras avec elles pour les offrir au regard des
spectateurs, je rentre dans ce monde magique sans me poser de questions. je change de voix et d'accent en une fraction de seconde sans me poser la moindre question".
Et on peut vraiment parler de magie car dés que les enfants
aperçoivent Guignol, les premiers rires fusent avant des cris quand il est
menacé par un méchant qui veut lui donner des coups de bâtons. "Je reste
pendant 20 à 30 minutes les deux bras levés sans vraiment voir le
public. J’ai juste une toute petite ouverture dans le castelet, le nom donné au théâtre qui accueille les marionnettistes. Je ressens de
toute façon les bonnes vibrations grâce aux rires et aux manifestations sonores
des spectateurs. Du coup on oublie la fatigue et on se donne à fond", explique David tout en précisant qu’il se rend régulièrement chez son kiné pour
des massages réparateurs.
Quant au secret de longévité qui semble entourer la famille
depuis presque deux siècles, Philippe Guérin a sa petite idée. "Guignol
peut parler à toutes les générations parce qu’il nous ressemble avec nos travers
et nos qualités. Il est parfois critique et acerbe mais tout le temps
bienveillant et généreux. C’est pour çà que nous l’aimons et qu’il ne sera
jamais ringard !".
La famille Guérin est bien décidée à continuer la saga de
Guignol à Bordeaux durant de longues années encore avec un rêve : créer
une "maison" de la marionnette à Bordeaux. Chez les Guérin, le
stock de personnages et de décor est impressionnant comme le soulignent à
l’unisson David et son père Philippe. "Nous aimerions que le public découvrent
des marionnettes incroyables qui ont plus de 150 ans pour certaines. Nous
avons suffisamment de matière pour proposer un univers magnifique et pas
seulement aux enfants. On attend juste aujourd’hui la réponse de la
mairie de Bordeaux".