Alors qu'une marche républicaine à Paris s'apprête à rendre hommage aux victimes des terroristes Kouachi et Coulibaly ce dimanche, la conversion à l'islamisme radical dans les prisons françaises inquiète les autorités qui cherchent les moyens d'isoler les rabatteurs et de combattre l'endoctrinement de leurs recrues.
Après Mohamed Merah, assassin de trois militaires et de quatre juifs en 2012 dans le sud-ouest de la France, et Mehdi Nemmouche, auteur de l'attentat contre le Musée Juif de Bruxelles (quatr morts le 24 mai 2014), l'enquête sur les auteurs des deux derniers attentats a une nouvelle fois montré l'impact des rencontres en détention sur les projets criminels des islamistes radicaux.
Chérif Kouachi, coauteur du massacre perpétré au journal satirique et Amedy Coulibaly, qui a tué une policière et, le lendemain, quatre clients d'un commerce juifs, se sont rencontrés à la prison de Fleury-Mérogis où ils auraient subi l'influence de Djamel Beghal, figure de l'islamisme radical français.
"On a un vrai problème de politique carcérale", dénonce Martin Pradel, avocat de jihadistes. "La promiscuité, l'oisiveté et l'absence de suivi psychologique sont des terreaux fertiles pour l'éclosion de pratiques radicales ", explique-t-il.
"Oui, la radicalisation existe bien en prison", abonde son confrère, Guy Guenoun, qui confie: "un parrain du milieu m'avait lancé avant l'affaire Merah : il y a des bombes qui vont sortir et les gens de la rue ne le savent pas".
Au ministère de la Justice, on ne conteste pas le problème tout en relativisant sa portée : "Sur les 152 personnes actuellement incarcérées en France (parmi 67.000 détenus) dans le cadre de dossiers terroristes, seuls 16% d'entre eux avaient déjà fait un séjour en prison, les 84% se sont donc radicalisés ailleurs", souligne le porte-parole du ministère, Pierre Rancé.
Parmi ces 152 détenus, "une soixantaine ont été identifiés comme des prêcheurs se livrant au prosélytisme auprès d'autres détenus musulmans", a-t-il cependant précisé.
Créer de petits Guantanamo n'est pas la solution
Martin Pradel, avocat de jihadistes
Pour lutter contre leur influence, la maison de Fresnes, autre prison de la région parisienne qui en a une quinzaine dans ses murs, a récemment pris la décision de les séparer des autres en les regroupant dans une même partie de l'établissement. Une première qui a valeur de test pour l'administration pénitentiaire.
"Créer de petits Guantanamo n'est pas la solution", dénonce Martin Pradel, pour qui cette pratique renforce encore le radicalisme de ces détenus.
"Ça va créer des zones de non-droit", dénonce pour sa part Ahmed El Houmass, responsable syndical CGT dans cette prison, selon qui "certains détenus risquent d'avoir pour objectif d'intégrer ce groupe qu'ils vont appeler l'unité d'élite".
Le ministère de la Justice mise aussi sur le renforcement de l'encadrement de la pratique religieuse en prison, avec la création de postes supplémentaires d'aumôniers musulmans, pour lutter contre le prosélytisme islamiste.
"Comme la nature à horreur du vide et que les aumôniers ne sont pas assez nombreux, les détenus qui ont un besoin spirituel vont vers les détenus qui pratiquent, qui se sont laissé pousser la barbe. Et là, si c'est un détenu qui est parti dans une lecture coranique sectaire, je dirais qu'il y a du souci à se faire", a récemment expliqué à Yaniss Warrach, aumônier du centre pénitentiaire d'Alençon-Condé (nord-ouest).
"Depuis 2012, nous avons créé 32 postes. Ils sont aujourd'hui 183 dans les prisons françaises", plaide le ministère de la Justice.
Autre difficulté pour l'administration pénitentiaire : identifier les détenus susceptibles de basculer, car les plus radicaux ne sont pas forcément ceux qui manifestent leur religiosité de manière ostentatoire. "Au contraire, ils ne se font pas remarquer", explique une responsable du ministère de la justice qui constate que Coulibaly n'avait posé aucun problème en détention.
Pour affiner cette détection, mais aussi se doter d'outils pour aider au désendoctrinement des jeunes recrues, le ministère a lancé un programme "recherche action" visant à faire collaborer des fonctionnaires de la pénitentiaire, des chercheurs, des institutions culturelles, et la mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires. Les premières expérimentations démarreront prochainement dans deux établissements.
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