Une demi-douzaine d’écrans géants à trois faces dominent la fosse. On devine une scène gigantesque de plus de 60 mètres de largeur. Un peu avant 21 heures, la pénombre se fait. Les 27.000 spectateurs frissonnent. En octobre dernier, dans Laissez-Vous Tenter sur RTL, la star avait longuement insisté sur son besoin de noir absolu pour son entrée en scène. Les fans venus en masse de partout en Europe vont vite comprendre pourquoi... Les écrans géants dispersés partout dans la salle commencent à s’éclairer. Des visages stylisés en noir et blanc y apparaissent. Trois cercles imbriqués de projecteurs s’éclairent au plafond de Paris La Défense Arena formant un ensemble d’anneaux évoquant un vaisseau spatial . Des images d’une mégalopole futuriste jaillissent sur l’immense écran qui occupe tout l’arrière de la scène. Une arrivée depuis la Lune. Soudain, une forme circulaire lumineuse tournoie dans le ciel. On se demande alors l’espace d’une seconde si le toit de la salle est bien réel. On ne rêve pas : Mylène Farmer surgit debout, immobile, à l’intérieur de ce rond scintillant qui débute sa lente descente sur les premières notes d 'Interstellaires. La lumière forme un croissant de lune mobile à l’intérieur de ce rond. La foule hurle tant l’image est sidérante. La star pose le pied sur le proscénium et avance doucement vers la grande scène... Vêtue d’un ensemble noir moulant couvert d’un corset formé de ceintures, Mylène Farmer entonne micro à la main : "Voir l'espace, rêver d'un ailleurs, recommence dans un monde meilleur", les premiers mots de cette chanson inédite en live. À peine remis de cette entrée spectaculaire, le public savoure une deuxième surprise. L’artiste enchaîne avec Sans logique qu’elle n’avait pas chanté depuis trente ans sur scène . Changements d'univers. Dix danseurs débarquent pour Rolling Stone , extrait de son dernier album Désobéissance paru en septembre dernier. Puis, la star offre un premier tube : "Pourvu qu’elle soient douces". Les écrans dispersés au-dessus de la fosse apporte un véritable effet visuel, preuve qu’une mise en scène pensée pour l’immensité du lieu peut rendre l’espace plus chaleureux. Le visage de Sting y est tout à coup démultiplié alors que Mylène Farmer débute sa reprise de Stolen Car qu’elle chantait en duo avec l’ex-leader de Police sur son avant-dernier album. Seule sur l’immense plate-forme avec ses six musiciens, l’évanescente interprète fait frissonner la salle avec Des larmes. Le bruit d’un hélicoptère et de voitures de police résonne. La chanteuse rousse change totalement d’univers en revenant - dans une autre robe - avec l’inoubliable California. Visuellement, c’est rétro-futuriste. On pense à Ready Player One, Tron, Le Cinquième Elément. "Je fais tout un peu, rien n'est comme je veux" susurre alors la popstar française pour la première fois en live. On devine les paroles de M’effondre ( Bleu Noir, 2010) alors Notre-Dame-de-Paris en ruine occupe l’écran géant avant qu’une succession d’images de la capitale dans un futur dystopique sidère le public. Classe et élégance. Pas le temps de s’assoupir. L'âme-stram-gram démarre. Seize danseurs entourent Farmer alors que des modules et des écrans géants forment une pyramide. On réalise alors que la performeuse danse moins dans ce nouveau spectacle . Une légère déception comblée par un groupe de seize danseurs ; jamais elle n’avait été aussi entourée sur une scène. Et, moins essoufflée par les folles chorégraphies, son chant s’avère plus solide et moins fragile qu’à l’accoutumée . Plus statique, elle n’a toutefois rien perdu de son aura et de son immense classe. Jean Paul Gaultier, l’a bien compris en offrant une série de tenues très soignées et inspirées notamment un maillot d’antan revu à la sauce marinière qu’elle dévoile en deux temps. L’élégance sera d’ailleurs un fil-rouge de ce show hors norme . Farmer revient dans un ensemble pantalon blanc immaculé avec Un jour ou l'autre et s’avance vers le proscénium pour un moment suspendu et rare. Un pianiste l’attend au milieu de la foule pour deux titres piano-voix : Ainsi soit je... (elle retient sa première larme) et Innamoramento qui fête ses 20 ans cette année et que l’artiste n’avait pas chanté sur scène depuis l’an 2000 et son "Mylenium Tour". L’artiste réussit là un tour de force : allier intimité et extravagance en moins de deux heures. Le show prend alors un virage plus sexy avec Sans contrefaçon et sa ligne de danseurs sur le proscénium (moment épatant) puis le formidable et coquin Histoires de fesses démarrant par cette voix chaude et grave que la star utilise (trop) peu. "J’suis sentimentale / Dieu ce que je suis sans haine" souffle Farmer avant d’enchaîner avec un percussif et contemporain Désenchantée. "Vous m’aviez tellement manqué", lâche-t-elle. Mise en scène spectaculaire. Chaque chanson a le droit à sa mise en scène. Toujours bluffante . Des modules bougent sans cesse autour des musiciens. Le résultat évolue donc en permanence. Le dessus de la scène fait penser à un navire spatial. Farmer arrive encore à épater. Aucun artiste français n’a proposé une telle production. Il faut rappeler que le spectacle ne partira pas en tournée, la chanteuse a donc pu se faire plaisir comme lorsque trois énormes blocs sortent de scène pour s’envoler au-dessus des spectateurs. La discrète chanteuse et ses danseurs y prennent place pour un sublime Rêver. Puis voilà la star assise sur un trône où l’on devine des têtes de loup . On a vu des images évoquant l’hiver et la neige. On se dit que Mylène Farmer a peut-être regardé Game Of Thrones depuis sa précédente tournée il y a six ans. Je te rends ton amour et Fuck Them All arrivent en fin de soirée alors qu’une armée de danseurs en combinaison et cape dorées l’entourent. Elle salue la foule, court en coulisses en lâchant un discret "au-revoir". Un symbole d’adieu ?. Mylène Farmer réapparaît dans un ensemble rouge rehaussé d’une longue cape. Un seul titre en guise de rappel : L’Horloge extrait de l’album Ainsi soit je... paru en 1988. Une chanson non dénuée de sens. C’est celle qu’elle avait choisi pour ouvrir sa première série de concerts en 1989. Ce nouveau spectacle à la Paris La Défense Arena, se referme donc trente ans plus tard avec le même titre. Certains s’effondrent en larmes devant la scène y voyant un symbole d’adieu. Les mots "trop tard" continuent de résonner dans l’immense salle alors que la scène s’enflamme et qu’un monticule de crânes occupent l’écran géant. La star disparaît dans un mur de flammes et de fumée . Thierry Suc, son producteur et manager, précisait sur RTL en début de soirée à propos d’un possible adieu : "Le jour où Mylène aura quelque chose à dire, c'est elle qui s'exprimera et le dira". Hier soir, Mylène Farmer a disparu sans dire un mot.