"La plus grande œuvre immersive au monde" : JR va transformer le Pont-Neuf en gigantesque "caverne", 40 ans après Christo et Jeanne-Claude

Une "caverne" de 120 mètres de long sur le plus vieux pont de Paris : quarante ans après avoir été emballé par le duo d'artistes Christo et Jeanne-Claude en 1985, le Pont-Neuf s'apprête à connaître une nouvelle métamorphose.

Du 6 au 28 juin 2026, l'artiste et photographe français JR installera une "caverne" qui traversera le pont de part en part, "une œuvre immersive" totalement gratuite en hommage à "l'emballement" de ce même pont en 1985, l'un des chefs-d'œuvre du Land Art qui, à l'époque, avait fasciné autant qu'il avait déstabilisé le public parisien.

Après avoir recouvert la pyramide du Louvre ou encore la façade de l'opéra Garnier de collages monumentaux, JR a répondu à l'appel de la Fondation Christo et Jeanne-Claude et de l'Amicale des ponts de Paris en signant, pour la première fois, une installation que le public pourra traverser et observer de l'intérieur.

Une installation "immersive" gratuite, ouverte jour et nuit

L'artiste a présenté les contours de son projet fin novembre à nos confrères de l'Agence France-Presse, découpages et collages en noir et blanc, ses couleurs de prédilections, à l'appui. Déjà un hommage : sous tous les angles, les échelles et les points de vue, Christo et Jeanne-Claude donnaient vie à leurs futurs projets en multipliant les croquis dans un style toujours très reconnaissable.

Sur les premières études présentées par JR, le célèbre pont, situé au cœur de la capitale, apparaît recouvert de roche aux arêtes acérées. Seule la forme de ses arches permet de le reconnaître. Inaugurée le 6 juin prochain, jour de la Nuit Blanche à Paris, l'installation sera visible et ouverte de jour comme de nuit jusqu'au 28 juin. La circulation, elle, sera interrompue pour les bus et les voitures pendant toute cette période. 

Comme le pont emballé de Christo et Jeanne-Claude, la future Caverne du Pont-Neuf représente une prouesse technique et sera aussi principalement constituée de tissu. "Sur un projet comme ça, je dois travailler avec des ingénieurs, avec des constructeurs. On doit penser aux structures, aux intempéries", explique JR, qui précise à l'AFP que "des centaines de personnes de tous corps de métiers" participent au chantier.

Dans une interview publiée sur le site de la ville de Paris, JR promet aux visiteurs "un voyage vers l'inconnu". "Pour moi, c’est une forme d’aboutissement, explique-t-il. Après des années à couvrir des façades partout dans le monde, je permets au public de 'rentrer' gratuitement dans l’une de mes réalisations, puisque les visiteurs pourront traverser le pont, de jour comme de nuit. Cette Caverne du Pont-Neuf sera la plus grande œuvre immersive au monde : sur 120 mètres de long, un véritable voyage vers l’inconnu".

Une collaboration entre JR et la fondation Christo et Jeanne-Claude

À l'origine de ce projet, initialement prévu pour cet automne avant d'être repoussé de quelques mois, se trouve la Fondation Christo et Jeanne-Claude qui a pris contact avec JR afin de célébrer un moment symbolique pour le duo d'artiste. L'année 2025 marque en effet le 90e anniversaire de la naissance de Christo (de son vrai nom Christo Vladimiroff Javacheff, mort en 2020) et de Jeanne-Claude (Jeanne-Claude Denat de Guillebon, morte en 2009), tous deux nés le 13 juin 1935. 

"C’est à la fois un honneur extraordinaire et un défi considérable, concède l'artiste, qui a volontiers accepté cette collaboration. Je me suis toujours senti très proche du travail de Christo et Jeanne-Claude. On partage le même principe d’autofinancement, sans logos, pour préserver la pureté de l’œuvre".

L'œuvre de JR sera donc "financée par du mécénat privé, sans recours à des fonds publics", comme le faisaient ses prédécesseurs qui s'appuyaient notamment sur la vente des études préparatoires à des acheteurs privés pour permettre à leurs projets démesurés de prendre forme.

Le 40e anniversaire de l'emballement du Pont-Neuf

L'année 2025 marque aussi le 40e anniversaire de l'emballement du Pont-Neuf, prouesse artistique, technique et même administrative tant le projet a été décrié dès les premières esquisses. En 1985, le couple d'artistes avait emballé le monument de tissu pendant deux semaines : à l'époque, il leur avait fallu dix ans pour concrétiser ce projet et vaincre les réticences, politiques notamment, comme celles du maire de Paris, Jacques Chirac.

"Pour Christo et Jeanne-Claude, obtenir l'autorisation de réaliser le Pont-Neuf Wrapped a été l'un des plus grands défis de leur carrière", abonde le neveu de Christo, Vladimir Yavachev, qui gère leurs projets, dans un communiqué de la fondation. "J’ai eu la chance de rencontrer Christo à de nombreuses reprises, j’admirais son travail, explique JR. Je n’ai pas pu voir The Pont-Neuf Wrapped – j’avais 2 ans quand il l’a empaqueté –, mais je sais combien cette œuvre a marqué les Parisiens". 

Christo et Jeanne-Claude ont donc ouvert la voie et, Paris n'étant plus la ville-musée des années 1980, l'idée a été accueillie avec enthousiasme, la maire Anne Hidalgo saluant même dans le communiqué de la fondation une "idée formidable". Par rapport aux interminables tractations de ses prédécesseurs, deux années seulement se seront écoulées entre le "oui" de la mairie et l'installation de la "caverne" au printemps prochain.

"J'ai la chance" de bénéficier de "tout le travail qui a été fait à l'époque par Christo et Jeanne-Claude, qui ont vraiment lutté pendant des années à réaliser leur projet", reconnaît l'artiste de 42 ans. La ville a aussi pris l'habitude d'accueillir des projets d'art contemporain spectaculaires, comme l'emballage de l'Arc de Triomphe en 2021, œuvre posthume de Christo et Jeanne-Claude. En juillet dernier, la ville de Paris a même accordé un ultime hommage au duo d'artiste en renommant la Place du Pont-Neuf en Place du Pont-Neuf-Christo-et-Jeanne-Claude.

Référence au mythe de la caverne et retour "aux premières traces humaines"

À l'image de l'une de ses récentes pièces parisiennes, sur la façade de l'opéra Garnier en 2023, JR se saisit une nouvelle fois du "mythe de la Caverne" que l'on trouve chez Platon. "Le philosophe parle de perception, d’illusion, de vérité – des thèmes totalement contemporains", explique l'artiste. Dans le mythe tel qu'il est raconté par Platon dans La République, des humains enchaînés à l'intérieur d'une caverne observent, le dos tourné, les ombres projetées au mur de tout ce qui passe devant l'entrée. Ce qu'ils considèrent comme la réalité n'est qu'une projection.

"Aujourd’hui, nos 'ombres', ce sont nos téléphones, nos bulles d’algorithmes qui nous enferment chacun dans une version différente du monde et nous polarisent, poursuit l'artiste. L’art, lui, ne donne pas de réponse, il soulève des questions". 

À l'extérieur, au mois de juin prochain, les passants observeront le Pont-Neuf transformé en impressionnante masse rocheuse. À l'intérieur, un retour aux premières traces de l'expression humaine, qui ont traversé les siècles sur les parois des grottes. "Revenir à la caverne, c’est revenir aux origines du monde ainsi qu’aux premières traces humaines, l’envie de dire 'Je suis là' à travers des 'graffitis' dans les grottes. Moi qui ai commencé par le graffiti, ça me passionne, conclut JR. Cette installation à Paris, c’est mon interprétation de tout cela."

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