Après une restauration d'un peu plus de six mois, La Liberté guidant le peuple retrouve le musée du Louvre. La monumentale toile d'Eugène Delacroix (1798-1863) sera de nouveau présentée au public dans la salle Mollien à partir de ce jeudi 2 mai.
"C’est l'une des œuvres les plus emblématiques du Louvre", explique Sébastien Allard, directeur du département des peintures au musée du Louvre à RTL. "La restauration de La Liberté guidant le peuple s'inscrit dans un grand programme de restauration des grands formats du XIXème siècle qui étaient des œuvres qui n'avaient pas été restaurées par le Grand Louvre en raison de leur taille, en raison de la complexité des examens qu'il faut faire et aussi en raison du coût d'une telle opération."
"On était dans une situation où ces œuvres étaient couvertes de huit, dix couches de vernis encrassé, souligne Sébastien Allard. Or dans le cas de Delacroix, ce qui fait l'essence même de son art, c'est la couleur. Et cette couleur était recouverte de vernis jauni, très oxydé. Donc l'œuvre était très clairement trahie, car dans cette œuvre de la liberté toute la gamme chromatique repose autour du bleu blanc rouge ce drapeau de la révolution qui était redevenu en 1830 le drapeau de la France."
"C'est certainement le tableau le plus célèbre de l'artiste, qui résonne particulièrement dans le cœur des Français, explique Côme Fabre, conservateur au département des peintures au musée du Louvre et spécialiste des peintures françaises du XIXe siècle. Parce qu'on l'a connu sur les timbres, sur les billets de banque à l'époque des Francs. Et puis, il réapparaît constamment sur des publicités. Il concentre en lui quantité d'imaginaires. On pense que c'est Marianne, on croit que ça représente la République ou la France de manière générale."
Et d'ajouter : "En réalité Delacroix a peint ce tableau non pas à l'occasion de la première grande révolution en France en 1789 mais 40 ans plus tard en 1830 (lors des journées appelées 'les 3 glorieuses'). La révolution de juillet est un moment où les Parisiens se sont révoltés contre un roi Charles X, (le petit frère de Louis XVI) aux idées très réactionnaires : il voulait notamment supprimer 'le droit de presse', pour faire simple en 1789 les journaux obtiennent de pouvoir publier ce qu'on veut, c'est la liberté d'expression."
En septembre 2023, ce tableau (une huile sur toile de 3,25 mètres sur 2,60 mètres) a été remplacé par le tableau qui lui faisait face : Les Femmes souliotes, d’Ary Scheffer, daté de 1827. "Longuement préparée en amont par des radiographies et analyses", la restauration de La Liberté guidant le peuple intervient dans le cadre d’une campagne de restauration d'envergure (sur 10 ans) lancée par le musée du Louvre en 2019 pour les formats du XIXe siècle explique Sébastien Allard, le directeur du département des peintures du Louvre.
Pendant plus de 6 mois, deux restauratrices ont donc patiemment, minutieusement nettoyé le tableau, avec des solvants, armées de bâtonnets de coton , elles ont enlevé les couches successives de vernis, fruits des différentes restaurations et qui finissaient par "trahir les couleurs".
En amont de cette restauration, des analyses infrarouges, des radiographies et ultra violet ont permis de révéler quelques secrets du tableau. Des "repentirs". Le tableau ayant été peint "rapidement", Eugène Delacroix y a apporté beaucoup de modifications.
"On a découvert qu'il avait réorienté le visage de la liberté, qui au départ regardait un des hommes qui la supplie à ses pieds, puis finalement Delacroix a changé, tourné son visage de profil pour lui donner un aspect plus divin", explique Côme Fabre, conservateur au département des peintures au musée du Louvre et spécialiste des peintures françaises du XIXe siècle.
Il poursuit : "On voit aussi qu'il a transformé la couleur de la robe de la liberté, qui était grise au départ, Il a voulu certainement créer un point chaud autour d'elle, donc il a ajouté du jaune par-dessus, notamment au niveau du buste, et ensuite le jaune est délavé à mesure qu'on descend le long des jambes. Il a aussi ajouté un nuage doré comme une auréole autour de sa tête, qui se distingue très bien des autres nuages (ce n'était pas le cas dans la version non restaurée), et puis on découvre aussi quantité de petits échos au drapeau bleu-blanc-rouge qui avaient disparu avec le temps, mais qui sont disséminés partout. Dans l'infiniment petit, en regardant par exemple le mollet d'un des cadavres au premier plan, on voit qu'il y a des petites hachures bleu-blanc-rouge sur la peau. Et puis ce cadavre lui-même est un drapeau finalement, puisqu'il a une chaussette bleue, une chemise blanche et il y a du sang rouge qui coule de son crâne."
"On a découvert plein de petites touches qui n'étaient pas visibles, révèle Laurence Mugniot, une des deux restauratrices. Des détails pathétiques, des coulures de sang, des choses qu'on ne voyait pas très bien avant restauration. Par exemple, sur la tête du cuirassier qui est en bas à droite, face contre terre, on ne voyait pas du tout le sang qui coulait de sa tête. Ou encore le personnage que nous, nous appelons Hector, qui est à gauche, qui est à moitié dénudé, qui lui aussi a la tête ensanglantée. Il y a ce jeu comme ça, un peu morbide, des yeux un peu blancs pour certains morts au premier plan, du sang qui coule. Il y a quelque chose de très pathétique."
Achevé en décembre 1830, le tableau est exposé au Salon de mai 1831. Le salon était autrefois l'exposition des artistes agréés par l'Académie royale de peinture et de sculpture. Mais la réception par le public et certains critiques est mauvaise, certains comparent cette "liberté" à une prostituée, une souillon, une femme des rues, dit Côme Fabre.
"Cette liberté, dérange beaucoup à l'époque, parce que d'habitude une idée positive comme la liberté, on va la représenter à travers une femme propre, belle et assez gracieuse, assez féminine. Là, elle a une musculature d'homme, elle est très rougeaude, elle a des poils sous les aisselles, elle est en sueur et elle a des muscles qui font vraiment peur. Elle est armée jusqu'aux dents !".
Le tableau est tout de même acheté, mais pas par un musée (Delacroix rêvait de le voir exposé) : "Delacroix aurait beaucoup aimé que le tableau soit tout de suite acheté pour être montré au musée. Mais malheureusement, il a été acheté non pas par le ministère de la Culture de l'époque, mais par le ministère des Travaux Publics et du Commerce, qui ne savait pas trop quoi en faire. Donc le tableau est resté très longtemps en réserve, d'autant plus caché qu'il embarrassait le gouvernement, le nouveau gouvernement. Bien qu'il ait été porté au pouvoir par cette insurrection de 1830, le gouvernement voulait à tout prix étouffer, calmer et arrêter les mouvements révolutionnaires et notamment toutes les revendications sociales qui commençaient à apparaître. Et donc ce tableau embarrassait. Il est donc resté 25 ans entièrement caché aux yeux du public. Il a fallu attendre 1855 pour qu'il réapparaisse pour la première fois depuis 1831."
Nous avions une problématique de vernis très ancien, jaune, terne, dégradé
Laurence Mugniot restauratrice
"Nous avions une problématique de vernis ancien jaune, terne, dégradé", précise Laurence Mugniot qui, avec Bénédicte Trémolières a restauré ce tableau d'Eugène Delacroix : "Les vernis jaunes dégradés forment comme un film photo jaune sur la surface qui modifie toutes les couleurs, qui les jaunit comme des lunettes jaunes, tout bêtement. et puis qui atténue aussi tous les contrastes. Donc les noirs paraissent moins noirs, les choses du coup sont moins nettes, moins distinctes, et puis il y a plein de touches, de petits détails qui du coup disparaissent et se noient dans ce film jaune brun qui est en surface. Il n'y a pas de règles, mais on a décidé de procéder de bas en haut parce que les parties basses sont plus sombres, plus complexes. Il fallait vraiment qu'on s'assure de pouvoir avoir un résultat correct, homogène, avant d'aller dans des zones qui sont plus simples à traiter, comme les couleurs claires ou les bleues, où on a plus de visibilité."
Posés à coté du tableau, des solvants, des pinceaux et des cotons-tiges format XXL (pour la longueur) : "On travaille avec des petits bâtonnets de coton. En gros, ça ressemble à une espèce de long coton-tige, explique Laurence Mugniot. On travaille aussi avec des tout petits pinceaux à la retouche. Et on travaille aussi beaucoup avec des lampes UV qui nous permettent justement de contrôler très précisément ce qu'on fait parce que si les vernis sont A l'œil nu, on ne les voit pas, ou alors comme un film jaune, si on les éclaire sous éclairage UV, ils prennent une fluorescence. Et donc ça nous permet très précisément de savoir ce qu'il y a en surface, s'il en reste. Cela permet de pouvoir avancer même dans des zones très sombres où on n'a pas beaucoup de visibilité. Ça nous aide à travailler."
Une restauration à pas feutrés donc. Les deux restauratrices expliquent qu'il fallait aussi identifier les "repeints", "les surpeints". (il est courant lors d'une restauration de retoucher la couche picturale (quand elle est abimée par exemple).
"On s'est fatigué dans les zones de cailloux notamment, qui étaient peu visibles, des zones plus fragiles, donc c'était complexe à nettoyer. Et puis après on s'est aussi beaucoup interrogé sur des zones où il y avait des repeints, et il s'agissait de bien comprendre, de bien être sûr, de réunir tous les éléments pour être sûr qu'il s'agit de repeints, qu'on n'a aucun doute, et après décider avec la conservation si on les retire ou qu'on les conserve. Là en l'occurrence, pour la plupart, comme ils sont avérés disgracieux et non justifiés, on a pu retirer ces repeints."
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