"Il y a 10 ans, c’était exceptionnel. Ces derniers mois, on accueille un nouveau blessé par arme toute les 48h", confie le Pr Léone, chef du service de réanimation et d’anesthésie de l'hôpital Nord de Marseille. L’établissement, une barre de béton massive inaugurée dans les années 60, surplombe les quartiers nord de la ville. Les patients blessés par balles sont inscrits sous X dans les registres. "Quand le SAMU nous appelle, le patient peut être là en deux minutes, parce qu’il a été jeté devant les Urgences par exemple. Le rentrer sous X, ça nous permet de savoir qui il est, sans que personne de l’extérieur ne puisse savoir où il se trouve dans nos services". "On ne sait pas si les personnes qui ont voulu le 'descendre' ne vont pas venir ici pour tenter de le 'finir' à l’hôpital", témoignent Alyzée et Jean-Pierre, infirmiers de nuit en "réa" depuis plusieurs années. Un cas de figure qui ne s’est heureusement jamais produit.
Arrivés sur une banquette arrière de Clio ou via le camion des marins-pompiers, ces corps meurtris sont auscultés en urgence dans la salle de "déchoquage" avant d’être transportés vers le scanner ou le bloc opératoire. "Parfois, ils ne veulent pas qu’on les touche, que l’on retire leurs habits, ils ont du mal à comprendre que nous sommes là pour leur bien. On se fiche complétement de ce qui a pu se passer dehors, on ne juge pas, ce qui nous importe c’est uniquement de stabiliser leur état de santé" détaille Alyzée.
Dans cette grande pièce, trois infirmiers, trois médecins et deux aides-soignants équipent le blessé en urgence. Ventilateur, système de transfusion sanguine rapide, seringues à proximité et première échographie pour avoir une vision des lésions les plus graves. "Les trajets des balles sont complètement imprédictibles, jamais rectilignes contrairement à ce que l’on pourrait penser. Les balles des armes de guerre les plus récentes changent de trajectoires à chaque fois qu’elles rencontrent un tissu différent. Un système vicieux", précise le Pr Léone, qui officie depuis 20 ans à l’hôpital Nord.
Extraire une "bastos" est rarement la priorité. Des radiologues opérationnels obstruent les vaisseaux qui saignent, freinent les lésions dans les organes vitaux. Plus de 9 patients sur 10 dans ce service survivent aux premières heures.
Même si la plupart des "accidentés du four" s’auto-déclarent comme victimes collatérales de fusillade, dans 80% des cas, trois policiers restent postés devant leurs chambres quelques jours pour éviter une nouvelle attaque. La "Team Réa" tente de faire abstraction de la guérilla. "Quand ils arrivent ici, ce sont des gosses. Tout jeunes, souvent assez attachants. Beaucoup perçoivent le danger dans lequel ils vivent. Ce qui est le plus inquiétant, c’est qu’ils l’acceptent. Un jour, il faudra aider ces quartiers de manière plus efficace. Vous avez beau avoir de l’expérience ou suivi des formations, quand vous annoncez à une famille que leur fils ou leur fille, qui est très jeune, vient de décéder, dans ce contexte… Les mots ont une importance toute relative face à l’horreur de la situation", livre le chef de service.
L’augmentation du nombre de cas fait défiler de nombreuses familles aux chevets de la "réa". Certains entourages issus de bandes rivales se croisent ici et peuvent reconnaître l’un de leurs ennemis à l’occasion d’une ouverture fortuite de porte. En blouse blanche, Jean-Pierre se dit qu’un bouton d'appel pour prévenir d’un éventuel danger ou d’une intrusion dans son service ne serait pas de trop. Vigiles peu visibles, absences de portiques et non-respect des horaires de visites : le syndicat Sud Santé espère des améliorations en matière de sécurité à l’Hôpital Nord.
Sa déléguée, Anissa Zerdoum, est infirmière aux urgences : "Les proches livrent de la drogue aux patients, certains fument du cannabis dans leurs chambres. D’autres, alités, sont descendus en brancard par leurs amis pour fumer des joints en bas du bâtiment. Nous sommes des métiers très féminisés, il y a moins de retenue que s’il y avait des hommes en face. La nuit, on montre un peu plus les muscles et on élève le ton face aux infirmières. Quelques patients ont aussi été victimes d’actes d’intimidation dans leurs chambres : des visites de 'faux-amis' qui leur disent 'on sait où tu es, on va revenir'. D’autres deviennent insomniaques, font des cauchemars, ne veulent plus sortir de l’hôpital car ils ne savent pas ce qui les attend dehors… Nous souhaitons que des mesures soient prises pour rassurer les équipes et avoir un effet dissuasif sur ces visiteurs 'nuisibles'".
Retour en "réa", il est 22h. Des gémissements s’échappent du box N°9. Les cardiogrammes bipent. Parmi la jeune équipe de soignants très investie, beaucoup ont choisi ce service pour l’adrénaline que procurent ces missions d’urgence. Rares sont ceux qui ressentent la nécessité de se confier au service d’aide psychologique. Chacun connaît son périmètre d’action, personne ne se voit en sauveur. Lésions cérébrales irréversibles, tube digestif percé, tétraplégie : la liste des séquelles est plus fournie qu’un chargeur de kalachnikov. "Vous passez dans un centre de rééducation et vous croisez l’un de vos anciens patients qui est là depuis 2 ou 3 ans, avec peu de possibilités d’amélioration, ni même la capacité de retourner vivre avec sa famille", glisse un membre de l’équipe. "Mais parfois, on limite la casse et nous sommes satisfait de pouvoir le rendre vivant à ses proches". Une nouvelle vie dans un corps brisé, un sursis parfois : un nombre non-négligeable de jeunes soignés ici meurent dans l’année qui suit, souvent fauchés par une nouvelle rafale.
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