L'audition doit avoir lieu le 20 mai dans un bureau d'une quinzaine de mètres carrés au pôle antiterroriste, dans la galerie Saint-Éloi du Palais de justice de Paris. Sauf changement de dernière minute, les juges n'iront donc pas en prison l'interroger. Salah Abdeslam fera les 30 kilomètres de Fleury-Mérogis au Palais de Justice sous escorte quasi-militaire. Avec sans doute un hélicoptère qui suivra le fourgon cellulaire. Vu les moyens mobilisés pour ce transfèrement (il faut rentabiliser), l'audition durera toute la journée. À moins qu'il y ait un incident d'audience.
C'est le juge, précise l'ancien magistrat antiterroriste Gilbert Thiel, qui décide de la durée de l'interrogatoire, qui décidera par exemple d'accorder à Abdeslam le droit de prier s'il le réclame. "Certains de mes collègues autorisaient une brève suspension de l'interrogatoire, et la prière allait se faire dans le couloir. Pour ma part, j'avais une autre attitude en disant que l'on était dans un établissement laïc et que les impératifs de la justice passaient avant d'autres plus personnels", explique-t-il. C'est donc le juge qui organise l'audience. L'avocat Salah Abdeslam, Me Frank Berton, ne pourra pas prendre spontanément la parole.
Le premier qui va questionner Abdeslam, c'est le juge Christophe Teissier, surnommé "l'anti-Trévidic" pour sa discrétion. Mais ça ne s'est jamais vu dans les annales judiciaires : cinq autres juges d'instructions ont été co-saisis du dossier du 13 novembre, vu l'ampleur des crimes. Les six juges ne seront pas tous dans le bureau vendredi. C'est trop petit. Dans les 15 mètres carrés, il faut aussi mettre le greffier, l'escorte de gendarmerie, le ou les avocats.
C'est pourtant un long face-à-face - l'instruction peut durer plusieurs années - qui commence entre Abdeslam et le juge Teissier. Les yeux dans les yeux ils vont se "jauger", explique Gilbert Thiel. "Lorsqu'on a a priori quelqu'un qui veut s'expliquer, qu'il y a un enjeu majeur, il ne faut pas le braquer mais écouter ce qu'il a à dire. Bien sûr qu'on s'observe. La relation qui peut s'établir entre le juge et la personne interrogée n'est pas forcément stable dans le temps", affirme l'ancien magistrat antiterroriste, qui raconte avoir eu "un certain nombre de prévenus avec qui les relations ont été particulièrement tendues, puis ça s'est amélioré au fil du temps".
Les interrogatoires seront sans doute thématiques : les armes, la logistique des attentats, le commando. L'enjeu, c'est de déterminer la responsabilité exacte de Salah Abdeslam.
Tout ce qui va être dit dans ce bureau vendredi sera consigné. Il y un enregistrement vidéo qui tournera, un greffier ou une greffière qui va noter sous la dictée du juge. Mais on peut tout arrêter pour passer au "off". "Dans ces situations-là, c'est par exemple un type qui ne veut pas balancer sur PV, il veut bien vous dire le nom. Une déclaration verbale non enregistrée ne vous fait pas un élément de preuve, mais cela permet parfois d'orienter des recherches vers tel individu ou tel autre", relate Gilbert Thiel.
Le magistrat sait aussi que les procès-verbaux peuvent sortir. Là, le secret de l'instruction sera particulièrement dur à garder. Vu le nombre de partie civiles dans ce dossier et le nombre d'avocats qui y auront accès, la première audition de Salah Abdeslam pourrait vite se retrouver dans la presse.