Il fut condamné à perpétuité en 1987, trois ans après son arrestation. La cour d'appel à Paris a ordonné jeudi 17 juillet la libération du plus vieux prisonnier de France, Georges Ibrahim Abdallah. Ce militant libanais propalestinien était emprisonné depuis près de 40 ans pour complicité dans l'assassinat de deux diplomates en 1982 - l'Américain Charles Ray et l'Israélien Yacov Barsimentov - et la tentative d'assassinat d'un troisième en 1984.
Déjà condamné en 1986 à Lyon à quatre ans de prison pour association de malfaiteurs et détention d'armes et d'explosifs, Georges Ibrahim Abdallah martelait être "un combattant, pas un criminel". "L'itinéraire que j'ai suivi a été commandé par les atteintes aux droits de l'Homme perpétrées contre la Palestine", se défendait-il devant les juges.
Depuis 1999, année où il est devenu libérable, toutes ses demandes de libération conditionnelle ont été rejetées sauf une, en 2013, mais sous réserve qu'il soit expulsé, ce que n'a pas mis en œuvre le ministre de l'Intérieur de l'époque, Manuel Valls. La décision de ce 17 juillet vient mettre un terme à cette double décennie de demandes déboutées : Georges Ibrahim Abdallah pourra retrouver les siens et son pays, le Liban, dès le 25 juillet.
Né le 2 avril 1951 à Koubayat (nord du Liban) dans une famille chrétienne maronite, cet homme au regard clair et à la barbe drue milite à 15 ans au Parti populaire syrien, formation favorable à une "Grande Syrie" incluant Liban et Palestine. Blessé pendant l'invasion du Liban par Israël en 1978, il adhère au Front populaire de libération de la Palestine, mouvement communiste et anti-impérialiste de Georges Habache.
L'instituteur taciturne fonde ensuite, avec ses frères et des cousins, les Fractions armées révolutionnaires libanaises (FARL). Il a déjà des contacts avec des mouvements considérés comme terroristes : Action directe (France), Brigades rouges (Italie), le Vénézuélien Carlos et Fraction Armée rouge (Allemagne). Groupuscule marxiste pro-syrien et anti-israélien, les FARL revendiquent cinq attentats, dont quatre mortels en 1981-1982 en France.
C'est dans ce contexte qu'il est arrêté le 24 octobre 1984 dans des conditions inédites. Ce jour-là, Georges Ibrahim Abdallah entre dans un commissariat de Lyon, demandant à être protégé des tueurs du Mossad qu'il dit sur ses traces. Il est alors détenteur d'un passeport algérien, après avoir eu des passeports maltais, marocain et yéménite, utiles pour ses nombreux voyages (Yougoslavie, Italie, Espagne, Suisse, Chypre...). Mais la DST, devenue la DGSI, comprend vite que l'homme au français parfait n'est pas un touriste mais Abdel Kader Saadi, "nom de guerre" d'Abdallah. Dans un de ses appartements à Paris, on découvre un arsenal dont des pistolets mitrailleurs et des postes émetteurs-récepteurs.
Si le peuple ne m'a pas confié l'honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m'attribuez, au moins j'ai l'honneur d'en être accusé par votre cour
Georges Ibrahim Abdallah
D'abord condamné pour détention d'armes et usage de faux papiers, il est emprisonné puis à nouveau jugé pour sa complicité dans des assassinats et tentatives d'assassinats revendiqués par les FARL. Lors du procès, les débats mettent en lumière le cadre politique dans lequel les assassinats ont été perpétrés : l'objectif des FARL est notamment de dénoncer l'invasion israélienne de 1982 au Liban, le tout dans le contexte de la guerre civile qui sévit dans le pays depuis 1975.
Abdallah nie cependant avoir participé aux crimes qui lui sont reprochés et réaffirme n'être "rien qu'un combattant arabe". Dans des propos rapportés par Le Monde diplomatique, il déclare même lors d'une audience : "Si le peuple ne m'a pas confié l'honneur de participer à ces actions anti-impérialistes que vous m'attribuez, au moins j'ai l'honneur d'en être accusé par votre cour et de défendre leur légitimité face à la criminelle légitimité des bourreaux."
À l'issue du procès, Georges Ibrahim Abdallah est condamné à la prison à perpétuité. Bien plus que les réquisitions de l'avocat général qui avait demandé dix ans d'emprisonnement. Son avocat, Me Jacques Vergès, voit à l'époque dans le verdict "une déclaration de guerre". Un comité de soutien est aussitôt créé, demandant sa "libération immédiate".
Georges Ibrahim Abdallah est victime d'une justice d'Etat qui fait honte à la France
Annie Ernaux
Dans ses mémoires, Georges Kiejman, avocat des parties civiles lors du procès d'Abdallah, évoque un accusé se conduisant "comme le terroriste militant qu'il disait ne pas être". "Il insultait tout le monde, nous traitait de 'porcs' et de 'sales impérialistes', il a dû être expulsé de la salle d'audience". En 2021, l'avocat paraissait plus nuancé. "J'ai une forme de respect pour lui" désormais et "le braillard de la cour d'assises est devenu un intellectuel réfléchi", même si, "enfermé dans une certitude respectable mais dogmatique, il ne fait rien pour faciliter sa libération", estimait-il.
Devenu un des plus anciens détenus de France, emprisonné à Lannemezan (sud-ouest), Georges Ibrahim Abdallah n'a jamais exprimé le moindre regret. Au fil des ans, son sort a ému et mobilisé des militants proches du Parti communiste français et de l'extrême gauche, qui accusent les gouvernements successifs d'acharnement et le considèrent comme "un prisonnier politique". Des municipalités communistes le font même citoyen d'honneur, régulièrement, des manifestations ont lieu devant sa prison et des personnalités prennent position en sa faveur. "Georges Ibrahim Abdallah est victime d'une justice d'Etat qui fait honte à la France", dénonçait par exemple en octobre l'écrivaine Annie Ernaux, prix Nobel 2022 de littérature.
Sur les photos prises dans sa cellule aux murs jaunes, l'homme aujourd'hui âgé de 74 ans pose barbe et cheveux blancs devant le portrait du "Che" affiché au-dessus de son lit de détenu. "Il va bien intellectuellement. C'est un militant, il reste sur ses positions, lit beaucoup et se tient très au courant de ce qui se passe au Moyen-Orient. On lui écrit du monde entier", disait en 2022 à l'AFP son avocat Me Jean-Louis Chalanset. En début d'année, l'eurodéputée Rima Hassan lui a rendu visite dans sa cellule, tout comme la députée communiste Elsa Faucillon quelques jours avant l'annonce de la décision mettant fin à son incarcération.
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