Affaire Péchier : l'anesthésiste a-t-il tenté d'empoisonner sa collègue ?

Trente mises en examen pour "empoisonnements avec préméditation", dix patients décédés. Si les charges imputées au docteur Frédéric Péchier sont un jour avérées, il apparaîtra alors comme l'un des pires criminels en blouse blanche. Un docteur qui pendant presque dix ans aurait accompli son œuvre insensée derrière les murs de deux cliniques de Besançon.

Vendredi 10 octobre 2008, Damien Iehlen, 53 ans, entre en salle d'opération à la clinique Saint-Vincent, chemin des Tilleroyes, à Besançon. Le père de deux filles, a été admis pour l'ablation d'un rein. À 7h38, il est endormi par l'anesthésiste Catherine Nambot. Mais, le patient est victime d'une crise cardiaque.

L'anesthésiste appelle à la rescousse son collègue, Frédéric Péchier, 36 ans à l'époque. Mais il est déjà trop tard, le décès est constaté à 8h15. L'autopsie décèle une intoxication à la lidocaïne, un anesthésique local qui n'est pas employé pour ce genre d'intervention. Une enquête est ouverte pour homicide involontaire.

Mercredi 11 janvier 2017, Sandra Simard, 36 ans, mère de trois enfants, s'apprête à être opérée du dos. La pose d'une prothèse pour une hernie discale, à la clinique Saint-Vincent. L'intervention se déroule normalement jusqu'à ce que Sandra soit victime d'un malaise cardiaque.

L'anesthésiste appelle immédiatement à l'aide son confrère Frédéric Péchier. Le docteur Péchier fait injecter à la patiente, sans la moindre hésitation, un produit destiné à éliminer les effets d'une surdose de potassium, ce qui lui sauve la vie. Mais comment a t-il pu en quelques secondes poser le bon diagnostic et savoir qu'il s'agissait d'un problème de potassium ?

24 empoisonnements et une tentative meurtre

Neuf jours après cet accident, un autre patient fait une crise cardiaque, il est encore sauvé. Du potassium en dose mortelle est retrouvé dans la poche de perfusion. Le procureur ouvre une enquête. Un mois plus tard, un rapport conclut à deux actes intentionnels et à quatre cas similaires depuis 2008 dont deux mortels. Le nom du docteur Frédéric Péchier apparait en pleine lumière, il est présent à chaque incident. Il est placé en garde à vue puis mis en examen pour empoisonnements avec préméditation dans sept dossiers.

Deux ans après le début de l'affaire, quatre corps sont exhumés. Il s'agit d'anciens patients décédés après un passage à la clinique. En mai 2019, l'anesthésiste est à nouveau placé en garde à vue. Cette fois, le docteur est mis en examen dans 17 nouveaux dossiers d'empoisonnements avec préméditation. Il évite l'incarcération, mais est placé sous contrôle judiciaire et a interdiction d'exercer la médecine.

Le 15 avril 2016, le docteur Catherine Nambod doit se faire opérer. Elle a expressément demandé que ce soit son conjoint, le docteur Sylvain Serri, également anesthésiste à Saint-Vincent, qui l'endorme. Il utilise la deuxième poche et non la première déposée sur le chariot,  une habitude qu’il a depuis toujours.

La première poche est donc utilisée pour Laurence Nicod, une podologue de 50 ans, qui va décéder suite à une crise cardiaque. Il est détecté dans son organisme une surdose de potassium. L'avocat de Catherine Nambod, Me Alain Dreyfus-Schmidt, estime que c'est bel et bien sa cliente qui était visée.

C'est un peu une roulette russe

Louise Colcombet, journaliste au Parisien

"Ce qu'on reproche à Frédéric Péchier c'est d'avoir su qui il visait. On l'accuse d'avoir pollué des poches à l'avance, mais qui sont entassées sur un chariot. Il ne sait pas quel ordre ça va être pris", détaille Louise Colcombet, journaliste au Parisien. C'est un peu une roulette russe, c'est comme ça que le présente l'accusation", poursuit-elle.

Un homme "arrogant" et "égocentrique"

Des profilers sont mandatés par le juge d'instruction pour savoir à quoi peut ressembler l'empoisonneur de Besançon. Selon eux, l'homme qui agit ainsi, l'empoisonneur mystère, est un criminel averti dont le mode opératoire révèle une froideur affective. 

C'est un vrai faux Superman

Louise Colcombet, journaliste au "Parisien"

"Au-delà de la vengeance, le double mobile serait aussi de briller. L'idée est de dire : 'Je suis le meilleur, j'ai réussi à sauver vos patients'", explique Louise Colcombet. "C'est un vrai faux Superman, il écrase les autres et se met en valeur".


Après avoir étudié les conversations téléphoniques du docteur Péchier, les profilers considèrent que celui-ci présente une “personnalité organisée sur un mode pervers, avec une forte composante narcissique. Un homme qui peut se montrer arrogant, égocentré". Le médecin présenterait encore une "absence de morale".

Six nouveaux cas, mais pas de procès

En mars 2023, le docteur Frédéric Péchier est dans le cabinet de la juge d'instruction de Besançon. Trois auditions vont se succéder. Le médecin est mis en examen pour six nouveaux cas. Trente empoisonnements, dont dix mortels, lui sont désormais reprochés.

Les experts avaient décelé toute une batterie de produits utilisés pour intoxiquer les patients, mais les six derniers cas indiquent la présence d'une nouvelle substance : l'adrénaline. Dans certains décès, celui d'une femme de 65 ans et d'un homme de 79 ans, en 2012 et 2014, la clinique avait à l'époque conclu une "cardio-myopathie tako-tsubo", encore appelée syndrome du cœur brisé. 

Frédéric Péchier, désormais âgé de 51 ans, a contesté ces nouvelles poursuites. Après six ans d'investigations, il revient à la juge de renvoyer ou non l'anesthésiste devant une Cour d'assises. Un nouveau procès est ardemment souhaité par les familles des victimes.

Les invités de "L'Heure du Crime"

- Me Frédéric Berna, avocat des parties civiles.
- Louise Colcombet, journaliste au Parisien.
- Randall Schwerdorffer, avocat de Frédéric Péchier.

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