"Je me revendique musulman orthodoxe. L'islam, ce n'est pas un costume que l'on met et que l'on enlève. Muslim ça veut dire 'soumis au Créateur'." Abdelkader Merah ne cache pas son engagement religieux et sa lecture rigoriste de l'islam lors de son procès qui s'est ouvert le 2 octobre pour se clore par une peine de 20 ans de prison avec une période de sûreté de 13 ans, prononcée le 2 novembre 2017. C'est avec une tenue claire, des lunettes autour du cou - ou sur le nez -, une longue barbe et les cheveux attachés, que l'accusé se présente à la cour tout au long de son procès.
Sa voix calme, posée, avec une articulation appliquée, retentit dès le début de son interrogatoire. Son comportement, réfléchi, articulé, tranche avec les idées reçues cultivées en France sur les terroristes islamistes. Drogués, fous, stupides, influençables, malades... Autant de caractéristiques qui ne se retrouvent pas dans la personnalité du frère du "tueur au scooter", Mohamed Merah, qui a froidement abattu 7 personnes à Toulouse et Montauban en mars 2012.
Un maître dans l'art de l'esquive
Maître Picard, avocat des parties civiles
Abdelkader Merah raconte à la cour que sa vie "a changé" en 2006, quand il s'est converti. Violent et impulsif avant cette date, il dit être devenu calme et réfléchi. Musulman de tradition, il considère être réellement entré dans l'islam à cette date, quand il a adhéré à une pratique radicale de la religion. Certains de ses comportements (port de la montre à droite, déménagement pour s'éloigner des actes de "débauches" et refus de se soumettre aux lois de la République) correspondent à l'image populaire des islamistes radicaux. Mais la tenue de son discours a pu étonner. Des formules de politesse, un vocabulaire soutenu et courtois, notamment envers le président, toutes ses réponses ponctuées par "Monsieur le président". Des formulations soutenues, mais trahies par des maladresses grammaticales comme "si j'aurais".
"Parler de façon calme et douce" est une préconisation qui se trouve dans les documents retrouvés dans son disque dur concernant la dissimulation pour se fondre dans la masse avant une action terroriste. On retrouve cet élément dans Le combat vous a été prescrit : une histoire du jihad en France, de Romain Caillet et Pierre Puchot, dans lequel les auteurs racontent l'histoire de Thomas Barnouin. Ce jihadiste français "s'énervait tout le temps dans les débats (...) Mais à Médine il a pu s'asseoir avec des shuyukh (cheikh au pluriel), il a appris la patience et le calme dans l'argumentation", se souvient Fabien Clain, un jihadiste lié à Abdelkader Merah cité dans l'ouvrage. Il est le jihadiste qui a prêté sa voix à la revendication des attentats du 13 novembre.
Il affiche (sciemment ?) un respect certain pour le président de la cour, Franck Zientara. Moins pour les avocats de l'accusation. Aux interrogatoires, son ton change du tout au tout et laisse apparaître une nonchalance couplée à une certaine insolence que les avocats ne manqueront pas de souligner lors de leurs plaidoiries. "Monsieur le président, vous, vos questions, elles étaient pertinentes, mais là...", lance-t-il à propos d'un avocat des parties civiles. Auprès de l'avocate générale, pourtant peu commode, il ironise : "C'est vous qui avez une science si vaste sur le sujet", en parlant de l'islam. L'accusation lui reproche aussi d'être un "maître dans l'art de l'esquive". "Vous ne répondez toujours pas", s'agace une avocate des parties civiles.
Une intelligence de l'autre
Experte psychiatrique au procès d'Abdelkader Merah
"Une intelligence de l'autre". C'est ainsi que l'experte psychiatrique parle de lui à la barre. "C'est un homme qui est à l'aise dans l'échange, dans la dialectique et l'expression de l'argument, précise-t-elle. Il respecte l'autre mais tente de le pousser dans ses retranchements et tente d'inverser les rapports". "Il va tenter de se positionner, chercher où son interlocuteur se situe et va attendre le moment où il doit s'arrêter, poursuit-elle. Il ne tente pas de convaincre, ne cherche pas le conflit. Il a une intelligence fine". La spécialiste qui l'a examiné lui accorde également une "appétence pour les choses intellectuelles". L'inculture n'est pas de mise dans son cas. Lui aussi se dit "intellectuel" et explique que la lecture est "une passion".
À partir de 2006, il est d'ailleurs parti à plusieurs reprises en Égypte dans des écoles religieuses salafistes du Caire pour y apprendre l'arabe littéraire afin de pouvoir lire les ouvrages non-traduits qui l'intéressent. Et ce jusqu'à 9 heures de cours par jour. Il n'a pas seulement étudié les trois religions monothéistes. Selon lui, il a lu le livre du juge Lambert, Le Pull-over rouge, sur l'affaire du petit Grégory. Mais aussi des biographies sur Ben Laden, Mandela et Gandhi. Un profil que l'on retrouve chez d'autres jihadistes convaincus. À l'instar de Thomas Barnouin - aujourd'hui dans les rangs de l'État islamique, comme le rapportent les auteurs du Combat vous a été prescrit.
En détention, Abdelkader Merah étudie le droit, l'histoire géo, quand il ne fait pas de musculation. Diplômé d'un CAP peintre en bâtiment à 17 ans, il exprime en 2011 le souhait de "faire un métier intellectuel et reprendre une formation". Après la décision de Justice, ses avocats n'ont pas encore décidé s'ils allaient faire appel ou non, étant donné qu'il a été reconnu non-coupable de la complicité des assassinats de son frère.