23 juillet 1945. Philippe Pétain, le Maréchal, le "héros de Verdun", celui qui avait fait "à la France le don de [sa] personne" en juin 1940, était ce jour-là l'inculpé Philippe Pétain. Le procès s'ouvrit au Palais de justice de Paris, devant la Haute Cour, à l'encontre du chef de l'État français pendant l'Occupation allemande.
Le maréchal Pétain est accusé de complot contre la sûreté de l'État et d'intelligence avec l'ennemi. Il avait accepté ce procès public en France, alors que l'asile politique lui a été proposé en Suisse. Il avait alors été conduit au fort de Montrouge dans l'attente de son procès. La Haute Cour, qui devait juger le maréchal, avait été rétablie par le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) du Général de Gaulle.
Lorsqu'il se présenta à la barre, Philippe Pétain était un vieil homme de 89 ans. Il se présenta en tenue militaire, avec sa seule médaille de guerre. Avec ses trois avocats, sa défense était simple : il a passé la vie à servir la France, on l'a supplié d'accepter le pouvoir en 1940, il lui a été "légitimement confié" par le Parlement et il s'en est servi pour "protéger le peuple français".
Une défense largement contredite par l'acte d'accusation. Celui qui occupa le pouvoir pendant quatre ans est poursuivi pour crime contre la sûreté intérieure et intelligence avec l'ennemi. Le procureur général voit sa prise de pouvoir comme "l'aboutissement d'un complot fomenté depuis longtemps contre la République." Il pensa notamment au groupuscule d'extrême-droite la Cagoule, qui mena des actions terroristes à partir de 1935.
Évidemment, c'est aussi la collaboration active de Pétain avec l'occupant nazi qui fut mise en cause. Il a "contribué au fonctionnement de la machine de guerre allemande". Le service du travail obligatoire (STO), qui a poussé 1,5 million de Français à travailler en Allemagne, fait de la France de Vichy le troisième pourvoyeur de main d'oeuvre pour le régime nazi après l'URSS et la Pologne.
L'accusation n'oublia pas les lois raciales et la participation active de la police de Vichy dans la déportation des Juifs. Environ 76.000 Juifs français qui ont été déportés, sans parler du "statut des Juifs" qui les excluait de plusieurs métiers, l'obligation de porter l'étoile jaune...
Le procès dura trois semaines. "D'une voix forte et qui tremble à peine", selon le journaliste de l'AFP présent dans la salle à l'époque, Philippe Pétain pris la parole pour s'adresser au seul peuple français, celui-là même qui, dit-il, "par ses représentants, réunis en Assemblée Nationale le 10 juillet 1940, m'a confié le pouvoir". "Je ne ferai pas d'autre déclaration. Je ne répondrai à aucune question".
"Lorsque j'ai demandé l'armistice, d'accord avec nos chefs militaires, j'ai accompli un acte nécessaire et sauveur", martèle-t-il. "Je suis demeuré à la tête d'un pays sous l'Occupation. Voudra-t-on comprendre la difficulté de gouverner dans de telles conditions ? Chaque jour, un poignard sur la gorge. J'ai lutté contre les exigences de l'ennemi. L'Histoire dira tout ce que je vous ai évité".
De nombreux hommes politiques de la IIIe République, morte avec l'arrivée au pouvoir de Pétain, et des militaires défilèrent ensuite à la barre. On peut citer Paul Reynaud, ancien président du Conseil (l'équivalent du Premier ministre actuel), qui a appelé Pétain dans son gouvernement, ou encore Édouard Daladier, Édouard Herriot et le général Weygand.
Le 27 juillet, l'ancien président du Conseil Léon Blum eut des mots très forts. "Le peuple était là, atterré, immobile, se laissant tomber à terre dans sa stupeur et dans son désespoir et on a dit à ce peuple : cet armistice qui te dégrade, qui te livre n'est pas contraire à l'honneur. Et ce peuple l'a cru, parce que l'homme qui lui tenait ce langage parlait au nom de son passé de vainqueur. Et cet abus de confiance morale, eh bien, cela oui, je crois que c'est la trahison", déclara-t-il.
Une semaine plus tard, le 3 août, c'est un autre témoin particulièrement attendu qui se présenta à la barre : Pierre Laval, le chef du gouvernement de Philippe Pétain. Homme fort du régime et collaborateur zélé avec l'Allemagne nazie, il alla à l'encontre de la défense de l'ex-chef de l'État. "On allait trouver le Maréchal : il était toujours d'accord", expliqua-t-il. À propos de la rencontre à Montoire entre Pétain et Hitler, le 24 octobre 1940, où fut décidé le principe de la collaboration, Laval raconta encore : "je ne l'ai pas emmené de force. Il n'a pas exprimé de répugnance".
15 août 1945. Après sept heures de délibération, il est 04h01 : la Cour condamna Philippe Pétain à la peine de mort, l'indignité nationale et la confiscation de ses biens. Il ne fut finalement pas exécuté : la peine fut commuée en emprisonnement à perpétuité du fait de son âge. Il n'est pas prouvé que l'accusé ait comploté contre le régime avant 40. Mais il a profité de son pouvoir pour l'abattre, estima la Cour. Le 23 juillet 1951, Philippe Pétain mourut à Port-Joinville, sur l'île d'Yeu (Vendée) où il fut inhumé.