Sortie des mémoires d'Alexeï Navalny : l'opposant raconté par ses proches

Beaucoup d'ironie et de lucidité pour décrire son châtiment, des centaines de pages pour expliquer son combat. 

"Je passerai le restant de mes jours en prison et je mourrai ici", écrivait Alexeï Navalny deux ans avant son décès dans ses Mémoires posthumes publiés le mardi 22 octobre 2024. Quelque 60.000 exemplaires ont été imprimés dans un premier temps en français pour des centaines de milliers dans le monde. 

"Il n'y aura personne à qui dire au revoir. Tous les anniversaires seront célébrés sans moi. Je ne verrai jamais mes petits-enfants. Je ne ferai l'objet d'aucune histoire de famille. Je ne serai sur aucune photo", ajoute Alexeï Navalny à la date du 22 mars 2022, dans ce journal de prison.

Qui était vraiment Alexeï Navalny, l'opposant numéro un de Vladimir Poutine ? Que reste-t-il de lui après sa mort ?

Un homme charismatique et générateur d'idées

Les proches que RTL a pu rencontrer se souviennent d'abord d'un homme charismatique, un avocat engagé avant de devenir homme politique, organisateur des grandes manifestations contre le maître du Kremlin au pouvoir depuis 24 ans.

"Ses mémoires montrent à quel point il était un incroyable générateur d’idées, raconte, Dmitry Nizovtsev, aujourd'hui journaliste militant, qui a travaillé au QG de campagne de l'opposant lors des élections municipales en 2013. Je l’ai vu lors de nos réunions de travail."

"Il a mis par exemple en place le vote intelligent, une stratégie pour affaiblir les candidats du pouvoir lors des élections, lancé de nouveaux modes d’action ou de manifestations. Il y a évidemment ses enquêtes, sa lutte contre la corruption, tout cela a affaibli Vladimir Poutine", nous explique-t-il, en marge d'une rencontre de l'opposition organisée le 19 octobre 2024 à Paris.

"Il reste un leader et une figure politique très puissante pour le mouvement démocratique russe"

Ilia Yachin, dissident et ami d'Alexeï Navaly

Huit mois après sa mort, une partie de l'opposition reproche encore aujourd'hui à Alexeï Navalny son passé nationaliste, ses positions ambiguës sur le conflit en Ukraine. 

Mais l'homme reste un exemple. Son ami, le dissident Ilia Iachine a passé ces deux dernières années en prison pour avoir dénoncé les crimes de l'armée russe en Ukraine. Ils s'envoyaient des messages en détention. 

"Il reste un leader et une figure politique très puissante pour le mouvement démocratique russe. Il est le symbole du courage, de la lutte pour la liberté. On peut tuer un homme, mais pas ses idées. Il est entré définitivement dans l'Histoire. Je suis sûr que ce qu'il représente, ses actions, influenceront les prochaines générations de citoyens russes", confie-t-il lors d'une longue interview accordée cette semaine à RTL. 

Ilia Iachine a été libéré le 1er août 2024 après deux ans et demi de détention dans le cadre d'un vaste échange de prisonniers entre la Russie et les pays occidentaux. 

En 2020, Alexeï Navalny est victime lors d'un déplacement en Sibérie d'un empoisonnement à l'agent neurotoxique qui lui cause 18 jours de coma, 26 jours de soins intensifs et 34 jours d'hôpital, ainsi qu'une longue convalescence après son évacuation en Allemagne. 

Il choisit pourtant de rentrer en Russie en janvier 2021, où il est arrêté dès son atterrissage à Moscou avant d'être emprisonné.

Je ne sais pas comment il a réussi à supporter tout cela. Il ne voyait pas d'obstacles

Olga Mikhailova, avocate d'Alexeï Navalny

Dans ses mémoires, Alexeï Navalny raconte les brimades en prison, les refus de soin dont il dit être victime alors que son dos et l'une de ses jambes le font atrocement souffrir. La grève de la faim qu'il observe 25 jours durant pour finalement obtenir d'être examiné par des médecins civils. 

Alexeï Navalny purge une peine de 19 ans de prison pour "extrémisme" dans une colonie pénitentiaire de l'Arctique, lorsque le 16 février 2024, l'opposant de 47 ans est déclaré mort, dans des circonstances troubles. Ses proches accusent l'État russe de l'avoir tué. 

L'avocate Olga Mikhailova a défendu Alexeï Navalny durant près de 16 ans. Elle a fini par fuir la Russie, placée sur la liste internationale des personnes recherchées par le Kremlin. Elle vit en exil principalement en France. 

" Je ne sais pas comment il a réussi à supporter tout cela. Il souriait, riait, plaisantait avec nous au tribunal. Il voulait changer la Russie, qu'elle soit libre, heureuse et pacifique. Cela n'était pas que des slogans, c'est ce qu'il voulait vraiment. Il ne voyait pas d'obstacles. Je ne sais pas s'il s'est rendu compte que cela était impossible, mais il avançait vers son but ", a-t-elle notamment déclaré lors d'une conférence de presse organisée en septembre 2024 à Paris par l'ONG Russie-Libertés et à laquelle RTL a assisté. 


Lui aussi rencontré par RTL, Lev Ponomarev, 82 ans, co-fondateur de l'ONG russe Mémorial, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2022, a travaillé à plusieurs reprises avec Alexeï Navalny avant son empoissonnement et son départ pour l'Allemagne. 

"Il est, bien sûr, un symbole de la résistance. C'est un leader même si je n'ai pas toujours partagé tous ses points de vue sur la conception de la démocratie, détaille celui qui vit aussi en exil en France depuis bientôt deux ans. 

"Il est mort de l'impossibilité de changer la situation rapidement, poursuit-il. Cela arrive aux gens qui voient que rien ne peut être changé. Ils finissent par être tués d'une manière ou d'une autre ".

L'opposition russe orpheline de Navalny

Lev Ponomarev appelle aujourd'hui l'opposition au régime de Poutine à s’unir et lui rappelle la responsabilité qui lui incombe : achever l’héritage de Navalny et faire tomber le système poutinien.


Ioulia Navalnaïa, la veuve de l'opposant, qui vit en Allemagne, a juré de faire survivre la cause de son défunt mari. Dans une interview à la BBC, l'opposante de 48 ans a déclaré qu'elle rentrerait en Russie et participerait aux élections comme candidate si Vladimir Poutine était un jour déchu. 


Orpheline de Navalny, l’opposition russe, persécutée ou en exil, recherche toujours une nouvelle façon de mener son combat contre le régime. 

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