Henry Kissinger qui a été le chef de la diplomatie américaine sous la présidence du républicain Richard Nixon dans les années 70 livre ses leçons sur la guerre économique entre les États-Unis et la Chine. Juif allemand ayant fui le nazisme – sa famille a été massacrée durant l’holocauste – il a émigré aux États-Unis, pour travailler ensuite dans les renseignements pour l’armée, puis au plus haut niveau de l’administration.
C’est tout simplement le père de la mondialisation moderne. Car c’est lui qui a réconcilié la Chine communiste et les États-Unis. Kissinger est probablement le dernier occidental encore vivant à avoir bien connu Mao Zedong et Zhou Enlai, son premier ministre, à force de missions secrètes à Pékin. Autant d’efforts qui débouchent, en 1979, sur la reconnaissance officielle de la Chine par Washington. Sur la politique de l’ouverture en Chine. Et, vingt ans plus tard, sur l’extraordinaire expansion du commerce entre les deux pays.
L'ancien secrétaire d'État auprès de deux présidents américains s’est longuement confié dans The Economist, un hebdomadaire britannique. Nous sommes dans une situation proche de l’avant-première guerre mondiale, explique-t-il, avec des rapports de forces qui ont été bouleversés au détriment de l’Occident, à la fois sur le plan stratégique et technologique. Tout cela a fait voler en éclats le cadre international qui tenait depuis la chute du mur. L’avenir de l’humanité dépend du fait que Chine et États-Unis puissent s’entendre, et ils n'ont que 5 à 10 ans pour y parvenir, compte tenu des progrès de l’intelligence artificielle.
Dans l’histoire de la guerre, il n’avait jamais été possible d’anéantir l’ennemi, à cause des limites posées par la géographie et le manque de précision des armes. Ces nouveaux systèmes intelligents vont tout changer, estime-t-il, il n’y aura plus de limite, tout pays sera vulnérable à 100%.
Kissinger n’est pas pessimiste pour autant. Il incite les Américains à mieux comprendre la Chine, à discuter en permanence avec elle, de leur rivalité, de leurs ambitions réciproques, de la limitation de l’intelligence artificielle, du risque de destruction mutuelle avérée. On peut éviter la guerre, dit-il.
Selon lui, les Chinois veulent décider eux-mêmes de ce qui les concerne, et considèrent que l’Amérique les traitera jamais comme un égal. Ils ont le complexe de l’assiégé, un peu comme l’Allemagne de Guillaume 2, justement avant la première guerre mondiale. Kissinger est d’ailleurs assez critique sur Trump et Biden, il semble les juger assez dangereux dans leur choix de rompre les liens économiques avec Pékin.
Après avoir condamné Poutine, Kissinger est assez critique sur l’Occident, qui a laissé la porte de l’Otan ouverte pour l’Ukraine, une erreur déstabilisatrice. De plus, ajoute-t-il, nous avons armé l’Ukraine au point d’en faire le pays le mieux équipé au monde, mais aussi avec le moins d’expérience diplomatique et stratégique. Pourtant, toute situation de crise étant porteuse aussi d’opportunités, le rôle de médiateur qu’a amorcé la Chine dans cette crise pourrait être aussi une occasion précieuse pour initier le rétablissement de la confiance entre les deux superpuissances.