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Pesticides contre les abeilles : ce qui se joue autour des néonicotinoïdes

ÉCLAIRAGE - Au-delà du couac gouvernemental, ces pesticides sont au cœur d'un affrontement entre les lobbys industriels et les défenseurs de l'environnement.

Des abeilles à l'entrée d'une ruche (illustration).
Des abeilles à l'entrée d'une ruche (illustration).
Crédit : AUSLOOS/SIPA
Ludovic Galtier
Ludovic Galtier

Ils sont au cœur du bras de fer qui a opposé lundi 26 juin Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, à Stéphane Travert, son homologue à l'Agriculture et l'Alimentation. Les néonicotinoïdes ont défrayé la chronique après que l'élu de la Manche a jeté un pavé dans la marre en émettant la possibilité de revenir sur la mesure de la loi Biodiversité (votée en juillet 2016) interdisant la pulvérisation aérienne des pesticides et la prohibition à partir de septembre 2018 des "néonics", insecticides réputés pour être des "tueurs d'abeilles".

Stéphane Travert soulevait, en effet, un problème de conformité avec l'Union européenne, qui n'a pas formellement banni l'intégralité de ces pesticides. Un argument qui ne tient pas pour l'ancienne ministre de l'Écologie, Delphine Batho. "Si on suit le raisonnement du gouvernement, nous n’aurions pas pu interdire le Cruiser [de Syngenta, ndlr] dès 2012 en France. Depuis 1999, chaque fois que la France a, par arrêté, retiré des autorisations de mise sur le marché pour certaines de ses substances, il n’y a pas eu de problème de conformité avec le droit européen."

"Garant" des avancées écologiques actées par ses prédécesseurs, Nicolas Hulot s'est dit prêt à ne faire "aucune concession" en réponse à la sortie de son collègue. Un peu plus tard dans la matinée, Matignon lui a finalement donné raison, évoquant un arbitrage du 21 juin dernier dans lequel est écrit que "le gouvernement a décidé de ne pas revenir sur les dispositions de la loi de 2016".

Ces pesticides tuent les abeilles et ont des effets sur l'homme...

Pourquoi ce débat prend-il autant d'ampleur ? D'abord parce qu'il irrite au plus haut point les défenseurs de l'environnement, persuadés que la question était enfin tranchée. En effet, ce type de pesticides vise le système nerveux des insectes, désoriente les pollinisateurs, contribuant ainsi au déclin spectaculaire des colonies. Selon une pétition datant de 2016, relayée par Sciences et Avenir, "depuis le milieu des années 1990 dans 120 pays, chaque année, 30% des colonies d'abeilles meurent. Avant 1995, date de l'apparition des néonicotoïdes sur le marché français, les mortalités avoisinaient seulement les 5%". Dans le même temps, l'Union nationale des apiculteurs français (Unaf) dénonçait une hausse de 31% de l'utilisation des insecticides tueurs d'abeilles entre 2013 et 2014. Peu biodégradables, les pesticides mis en cause affectent par ailleurs les autres espèces insectivores, et persistent dans l'eau et les sols.

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Outre les abeilles, des effets sur l'homme sont à craindre. L'Agence de sécurité sanitaire (Anses) doit publier fin 2017 une expertise sur l'impact sur l'Homme, mais selon une étude japonaise de 2015, relayée par Libération, ces pesticides se retrouvent dans l'urine de 90% des personnes y ayant participé. "Il y a aujourd’hui un consensus scientifique sur la dangerosité de ces produits, c’est très clair et seuls ceux qui ont des intérêts dans l’industrie le nient", avance Jean-Marc Bonmatin, chimiste, chercheur au CNRS, interrogé par le quotidien national. Ségolène Royal parlait, quant à elle, d'un "effet possible sur le développement cérébral des êtres humains" et prônait l'interdiction en vertu du principe de précaution quand elle était ministre de l'Environnement.

... mais protègent les céréales et les betteraves

L'adoption de la loi Biodiversité en 2016 a toutefois été confrontée à de multiples résistances, provenant notamment des lobbys agro-industriels très implantés dans les couloirs du Parlement. Raison pour laquelle en février 2015 d'abord, en mai 2016 ensuite, le Sénat avait rejeté l'interdiction des néonicotoïdes. Cette dernière est combattue par le monde agricole, en particulier les betteraviers mais aussi les firmes et les représentants de l'agriculture industrielle, qui réclamaient l'interdiction à compter de 2021 et uniquement après avis scientifique de l'Anses.

Illustration avec l'entreprise allemande Bayer. En 2016, ce géant de la chimie montait sur ses grands chevaux en réponse à la fraîche décision du Parlement français. "Cela résonne pour nous comme un très décevant manque de vision long terme dans un contexte de crise agricole", indiquait le PDG de Bayer France, Frank Garnier, cité dans un communiqué du groupe relayé par La Tribune. "Au-delà de nos produits, il s'agit une fois encore d'une véritable atteinte à la compétitivité des agriculteurs français à qui nous supprimons petit à petit leurs outils de production, alors que leurs voisins européens continuent très largement à les utiliser". Et de persister : "La récolte des betteraviers pourrait "chuter de 15 à 40% en fonction des cultures."

Selon Science et Avenir, les betteraviers "affirmaient avoir besoin de temps pour trouver des alternatives aux néonocotinoïdes qui enrobent les semences et protègent notamment les céréales contre des pucerons verts, vecteurs de la jaunisse des plantes, nuisant à leur croissance initiale et aux rendements." Les betteraviers ont apporté, avec les céréaliers, leur soutien à M. Travert, évoquant "une situation de distorsion de concurrence" vis-à-vis de leurs homologues européens et des pays tiers "ayant accès à ces molécules".

Déjà un désaccord entre Ségolène Royal et Stéphane Le Foll

Les vifs débats sur le dossier ne datent pas d'hier. Au sein même du gouvernement de l'époque, les dissensions étaient nombreuses. Là encore, le sujet divisait les ministres de l'Environnement, Ségolène Royal, et de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. L'ancien porte-parole du gouvernement était allé jusqu'à écrire une lettre aux députés, révélée par Le Monde, dans le but de les dissuader de voter le texte.

Dans cette missive, le ministre évoquait des risques de "distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens", et des solutions de remplacement "qui ne présentent aucune garantie supplémentaire pour les pollinisateurs, bien au contraire" - un argument réfuté par des ONG et des scientifiques.

Pour autant, l'Europe est en train d'aller dans le sens de la France puisque Bruxelles et le parlement se sont prononcés pour une interdiction des trois néonicotinoïdes les plus dangereux.

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