"Didier, tes joueurs et toi vous êtes de l'oxygène"
REPLAY - Adeline François adresse une lettre à Didier Deschamps avant le premier match de l'Équipe de France.
Cher Didier,
J'apprends que l’hôtel du quartier de Bercy où tu viens de te réveiller met chaque matin à disposition de ses clients la presse internationale uniquement, que des journaux en anglais, mais à quelque pas, il y a un kiosque. Dans 12h tu seras au Stade de France, avec 23 mecs qui ont la moitié de ton âge, alors peut-être qu'avant de leur dire de muscler leur jeu, tu pourrais leur conseiller de muscler leur moral en feuilletant la presse. Attention, le papier journal ça peut tacher les doigts, ça peut miner l'enthousiasme, alors on a lu les journaux et on a fait une sélection. Comme dans toute sélection, il y a ceux qui ne sont pas retenus. On ne retiendra pas ce matin The Independent, le journal anglais qui met en Une des policiers devant des drapeaux de l'Uefa avec ce titre "une fan-zone, c'est 10 Bataclan à ciel ouvert". On ne retiendra pas non plus Les Échos "la fête gâchée par le chantage social".
Non Didier, parmi les journaux que tu dois garder dans ta sélection, il y a d'abord Libération. Oui oui Libé, qui fait sa Une sur toi "Label Deschamps", pour qualifier cette équipe de France renouvelée par tes choix et au gré des coups durs. Dans Libé tu pourras aussi choisir entre deux articles, pourquoi les Bleus vont briller ou pourquoi les Bleus vont chuter ? Libé n'a pas su choisir son camp et publie les deux tribunes. Et puis bien sur, l'Équipe qui te lance un défi, une injonction : "refaire l'histoire". C'est Paul Pogba qui occupe tout seule la Une, l'Équipe voudrait voir en lui le Platini de 84 ou le Zidane de 98. Il y a tout lieu de croire que l'Équipe de France, pour peu qu'elle gagne avec panache, soit un excellent antidote aux tourments actuels de notre pays veut croire Jérôme Cazadieu dans son édito en Une de l'Équipe.
Avoue que les temps ont changé. L'Équipe ce même journal qui faisait si mal aux Bleus dont tu faisais partie en 98, et qui s'en prenait à ton sélectionneur de l'époque, dans un édito intitulé "Mourir d'Aimé". Dans l'Équipe, il y a aussi la lettre de Raphael Varane qui a décidé d'écrire à tes joueurs. C'est un beau message, il dit que ça lui fait mal, très mal de pas être présent à vos côtés. Il dit aussi "soyez fiers de cette passion que vous suscitez, ce soir mon cœur battra pour vous". Merci de transmettre a tes joueurs.
Pour avoir une idée de l'engouement autour de ton équipe, sache que même la Croix, le journal catholique fait sa Une en bleu blanc rouge : "Au rythme des Bleus". Le mot qui revient le plus souvent sur les autres Unes, c'est le mot fête. "Que la fête soit belle" pour le Républicain lorrain, l'Union, et Presse Océan. "Que la fête commence", s'exclament en chœur l'Alsace et la Charente libre. "Place à la fête", semble implorer le Parisien/Aujourd'hui en France. "Ce soir, écrit Stéphane Albouy, des millions de Français vont pendant 90 minutes regarder dans la même direction et leurs cœurs battront à l'unisson, une petite parenthèse enchantée, une bouffée d'oxygène dans un France qui a bien du mal à respirer depuis des mois".
Didier, tes joueurs et toi vous êtes de l'oxygène à en croire certains mais si tu cherches des arguments pour dédramatiser l'enjeu, on te conseille l'excellent papier du philosophe Rogel Pol droit dans les Échos. Tu sais ce qu'il dit ? "La vie, c'est plus qu'une tranche de foot." Une nouvelle séquence est supposée s'ouvrir aujourd’hui, Place au jeu, aux enthousiasmes, oublier les séquences précédentes, effacer leurs séquelles, voici venir le temps du foot, le pays réconcilié hurlant d'une seule voix "allez les Bleus". C'est une illusion, la réalité n'est jamais une succession de séquences se chassant l'une l'autre. La vie ne peut se découper en tranches séparées, dans les faits tout se chevauche, coexiste et s'entremêle. LA grande fête annoncée ne fait oublier ni les grèves ni les inondations, ni les attentats. Derrière la tranche de foot, la vie continue. Voilà de quoi muscler tes arguments.
Et puis de quoi muscler ton dictionnaire. Euro, tu sais ce que ça veut dire ? C'est Etienne de Montety qui nous le dit dans son biller "un dernier mot" dans le Figaro. Ça vient du grec eurus qui veut dire large et ops qui veut dire œil. Euro ça veut aux grands yeux, aux yeux écarquillés. Comme une vision perpétuelle. La compétition qui commence ce soir porte le même nom que la monnaie en vigueur dans la plupart des pays qui y participent . Mais ne dévaluons pas cet Euro là ! Qu'on soit euro sceptique ou euro centré chacun forme ses vœux pour que cet Euro se passe sous le signe de ce que les musiciens appellent l'eurythmie. Tiens voilà un autre mot pour tes joueurs. Eurythmie en musique, c'est une harmonie générale et à la fin, la liesse. Soyez eurythmiques les gars, ce serait pas mal pour la causerie d'avant match ?
Cher Didier, tu vas peut-être dépenser quelque euros pour acheter des journaux qui parlent de l'Euro, qui parlent de foot, de footoir et de légendes. Refaire l'histoire. Attention si tu tiens l'Équipe dans tes mains, le journal hein pas tes joueurs, attention parce que tu as les honneurs de la 4e de couverture. La dernière page où l'on peut lire en gros : "Il y a de la pression chez Didier". C'est une pub pour de la bière vendue dans un bar qui s'appelle Chez Didier et qui est à Ustaritz chez toi au Pays Basque. Malheureusement ce matin, ce n'est pas la seule pression qui est sur tes épaules, mais avoue qu'avec tout ces journaux à la gloire de tes joueurs ce matin, y a de quoi se faire mousser.
