Les Borgia : qui sont Rodrigo, César et Lucrèce, la Sainte-Trinité du vice et du pouvoir ?

Poison, inceste, pouvoir et dévotion dévoyée... Entrons dans l'un des chapitres les plus sulfureux de l'histoire de la Renaissance, en Europe. Pendant près d'une décennie, les Borgia ont dominé Rome. Cette famille fonctionnait telle une hydre à trois têtes. 

Rodrigo, un Espagnol ambitieux, est devenu pape sous le nom d'Alexandre VI. C'était un pontife qui a fait de la tiare, une couronne et du Vatican, un champ de bataille. Ensuite, César, le fils cadet de Rodrigo. Cardinal à 18 ans, chef de guerre à 22 ans, c'était un stratège de génie, un Machiavel en armure. Et enfin, Lucrèce, l'énigme, la femme fatale. Vénus perverse pour les uns, pion politique pour les autres, elle a été mariée, remariée, offerte, utilisée, à des fins politiques. 

Ces trois noms ont représenté une sainte trinité du pouvoir, de la violence et de la luxure. Leurs ennemis les ont accusés de tous les crimes, meurtres, incestes, trahisons, empoisonnements. Le tout à l'ombre de la tiare pontificale

Une ascension qui débute en Espagne à 1455

Rodrigo, César et Lucrèce sont restés comme l'incarnation d'une papauté dévoyée, d'une Renaissance sans morale et d'un rêve de grandeur noyé dans le sang. D'origine espagnole, ils se sont ancrés dans la ville de Xàtiva, près de Valence. Cette vieille famille noble disposait d'un blason : un taureau rouge sur fond doré. 

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Leur ascension a commencé avec Alfonso de Borja, un universitaire brillant devenu évêque, puis cardinal et enfin pape sous le nom de Calixte III en 1455. Il était déterminé à asseoir la puissance espagnole dans la ville éternelle et il a, ainsi, ouvert les portes de la curie à sa lignée et en particulier à son neveu Rodrigo. 

Rodrigo Borgia, le patriarche

Rodrigo était jeune, beau, habile. Il s'est installé à Rome et en s'armant d'un esprit tactique remarquable et d'un instinct politique rare. Pour lui, l'Église n'était pas un sanctuaire, mais un pouvoir d'influence inégalé. Sous ses dehors de prélats, il a gravi les échelons avec méthode : cardinal à 25 ans, vice-chancelier du Saint-Siège pendant plus de trois décennies, diplomate de premier ordre. 

Rodrigo Borgia a amassé une immense fortune personnelle et a placé ses hommes dans tous les rouages du Vatican. Il ne s'est pas encombré des vœux de chasteté et a eu des enfants. Il était connu pour aimer les femmes, les chevaux et les fêtes. 

En 1492, Rodrigo Borgia a atteint le sommet de l'Église, à 61 ans. Il est devenu pape sous le nom d'Alexandre VI. C'est la première année que le conclave se tient dans la chapelle Sixtine. Une fois élu, Alexandre VI s'est aussitôt comporté en souverain. Il a fortifié les états pontificaux, restructuré les finances, nommé ses proches aux postes-clés, transformé le Vatican en centre de pouvoir familial. Et surtout, il a nommé César cardinal. Il fait aussi son fils Juan, duc et a arrangé les mariages de Lucrèce comme on manœuvre des alliances militaires. Rarement un pape n'aura été si politique, ni si exposé.

César Borgia, le joyau noir

Alexandre VI a pu compter sur ses enfants pour défendre son trône et les intérêts du clan. Chez les Borgias, César était le joyau noir : un prince sans foi ni loi, formé dans les meilleures universités, nourri d'ambition, de ressentiment et d'une volonté de faire. Dès son plus jeune âge, il a fasciné. On le dit charismatique, d'une beauté cruelle, doué pour tout, les lettres, les armes, la diplomatie. Mais à l'inverse de son père, il n'a pas souhaité revêtir la soutane. Lui rêve de couronne. 

Pour des raisons politiques, Alexandre VI l'a poussé pourtant vers l'Église. À 18 ans, César Borgia était déjà cardinal, à contrecœur. En 1497, son frère Juan, chef militaire du clan et favori du père, est retrouvé mort, poignardé, son corps jeté dans le Tibre. Officiellement, l'enquête n'a mené à rien. Mais officieusement, beaucoup ont pensé que César avait fait assassiner son frère pour prendre sa place. 

César Borgia a quitté l'Église et épousé une princesse française. Le voilà à la tête des armées pontificales. Il a commencé à caresser son rêve de devenir un jour le roi de Naples. Son style était brutal, impitoyable et habile. César a utilisé les hommes comme des pions. Nicolas Machiavel, qui l'a accompagné un temps, l'a pris comme modèle : César était l'incarnation de son prince. 

Lucrèce Borgia, la courtisane de l'ombre

Sa sœur, Lucrèce Borgia évoquait le poison, le sexe et le péché. Elle a été peinte comme la Messaline de la Renaissance, la fille incestueuse, l'épouse meurtrière ou encore la courtisane de l'ombre. Lucrèce naît en 1480. Elle était la fille préférée d'Alexandre VI et un atout politique de premier plan. Très jeune, elle a été plongée dans les intrigues matrimoniales. À 13 ans, Lucrèce Borgia est mariée à Giovanni Sforza. Une union stratégique, mais sans avenir. 

Quand cette alliance est devenue inutile, Alexandre VI a répudié son gendre sous prétexte qu'il était impuissant. Une humiliation publique pour lui, mais qui a l'avantage de garder les apparences sauves : officiellement, sa fille demeure vierge pour être facilement remariée. Son second mariage avec le Napolitain Alfonso d'Aragon, a tourné au drame, car Alfonso est mort sur ordre de César, le frère de Lucrèce. 

C'est seulement après son troisième mariage, à l'âge de 21 ans seulement, avec Alfonso d'Este, que la vraie Lucrèce s'est manifestée. Duchesse de Ferrare, elle est devenue mécène, femme d'État, amante de la poésie et de la diplomatie. Elle a tenu une cour raffinée et a soutenu les arts. Les archives révèlent une administratrice rigoureuse, une femme pieuse, aimée de ses sujets. Elle était tellement douée que c'est elle qui a géré le Vatican quand le pape s'est rendu en Grèce. Mais la légende noire de sa famille l'a écrasée. 

Un épilogue sanglant

Rome, le soir du 10 août 1503. Alexandre VI et César Borgia dînaient discrètement chez un cardinal. Officiellement, ce repas était organisé pour célébrer un pacte. Mais en réalité, c'était plutôt pour se débarrasser d'un gêneur. Les Borgia ont pensé à tout : un vin empoisonné devait être servi au cardinal. Sauf que ce soir-là, le piège s'est refermé sur eux. Ils ont bu la coupe fatale. Qui a trahi ? Un serviteur ? Un rival ? Un cardinal trop impatient ? 

Le 18 août 1503, la mort d'Alexandre VI a été proclamée. Mais pas un prêtre n'a pleuré, pas une messe ne s'est élevée. César a miraculeusement survécu au dernier repas. Vivant, mais affaibli, le prince noir a tenté de garder la tête haute, mais quelques semaines plus tard, le 1er novembre 1503, un nouveau pape a été élu, Jules II. 

Il n'est autre que le cardinal Giuliano della Rovere, l'ennemi juré des Borgia et le nouveau maître du Saint-Siège. César a été trahi, capturé, livré aux Espagnols, et a réussi à s'évader et à fuir. Mais en 1507, en Navarre, à l'âge de seulement 31 ans, il est tombé dans une embuscade et est mort transpercé de 22 coups d'épée.

Quant à Lucrèce, elle a survécu, loin du tumulte de Rome et de ses intrigues. La duchesse de Ferrare, devenue protectrice des arts, est morte en 1519, à l'âge de 39 ans, après la naissance de son huitième enfant. Cinq siècles plus tard, le nom des Borgia est toujours là, parvenu jusqu'à nous grâce à Victor Hugo ou Alexandre Dumas. 

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