"Le Garçon et le Héron" : le nouveau Miyazaki est-il à la hauteur des autres films Ghibli ?

NOUS L'AVONS VU - Ce nouveau film très personnel, conceptuel et innovant va-t-il émerveiller ou bousculer les fans du "Voyage de Chihiro" ou du "Château ambulant" ?

Le flou des flammes dansantes. Les visages déformés par la vitesse et la panique d'une course dans la nuit. La fumée, les particules de bois incandescentes, un trait griffonné... Ce paysage splendide et apocalyptique est celui qui vient cueillir les spectateurs du Garçon et du Héron, le nouveau film du réalisateur japonais Hayao Miyazaki (en salles ce mercredi 1ᵉʳ novembre 2023). Une scène qui vient tout de suite placer le nouveau film d'animation du studio Ghibli au sommet de l'animation traditionnelle, comprenez à l'ancienne, sans numérique.

C'est par cette introduction techniquement et artistiquement bluffante que ce récit initiatique bien particulier commence. Sans révéler grand-chose de l'intrigue, ce gigantesque incendie par lequel commence le film nous annonce le thème principal du long-métrage : le deuil.

Le Garçon et le Héron raconte, comme son nom l'indique, l'histoire d'un jeune homme entre l'enfance et l'adolescence en 1943 dans le Japon de la Seconde guerre mondiale. Après la mort traumatique de sa mère dans un incendie d'un hôpital tokyoïte, Mahito, 12 ans, débarque à la campagne dans une vaste demeure ancienne. Là, il va explorer son âme, ses fantômes, ses aspirations à travers un voyage initiatique qui rappellera à beaucoup celui d'Alice au Pays des merveilles. Pour lui servir de guide, le fameux héron titulaire est là. L'animal, étrange et malaisant, assume à la fois le rôle d'un adjuvant et d'un ennemi.

Mahito aux Pays des merveilles

La première partie du film se porte sur une description très réaliste de la vie du jeune Mahito. On voit ses difficultés, son courage, sa fatigue. Il déménage avec son père et découvre la vie dans cette nouvelle maison à la fois chaleureuse et impressionnante. La seconde partie du Garçon et du Héron offre aux spectateurs une plongée dans un monde fantastique avec ses lieux étranges et mystérieux, ces animaux et entités surnaturelles douées de parole, ses aventures.

À la façon d'un rêve, on passe d'un tableau à l'autre avec rapidité. Une tour de vieux sage cède sa place à une mer angoissante, à une représentation de l'Île des Morts du peintre Arnold Böcklin puis à une forteresse gorgée de perruches géantes. Ces apparitions hallucinées donnent au public l'impression de vivre une nuit fiévreuse et les moins attentifs pourront sans doute se perdre en chemin.

Pourtant, Le Garçon et le Héron ne souffre pas d'être brouillon. C'est un film dense. Un film qui se découvre une première fois et qui ne manquera pas d'intérêt au revisionnage. Certains détails n'apparaîtront qu'à ce moment-là. Par de nombreux aspects, notamment la construction du récit et un je-ne-sais-quoi dans l'atmosphère globale du film, Le Garçon et le Héron est particulièrement proche du Château ambulant du célèbre studio japonais. On y retrouve la fantaisie, la complexité. Il s'agit, comme pour Le Château ambulant, de l'adaptation d'une œuvre littéraire bien connue des enfants (japonais du moins).

Il adapte le roman de Genzaburō Yoshino, Et vous, comment vivrez-vous ? (traduit et édité récemment en français aux éditions Picquier). Ce livre est un classique de la scolarité nippone. Il évoque la liberté individuelle et la solidarité et a été publié au cœur des années 30 dans un Japon militarisé, allié avec l'Allemagne nazie. Un livre interdit puis entré dans la légende.

Le roman utilise son personnage principal, un adolescent japonais vivant dans les années 30, pour établir un manuel quasi philosophique de vie. Grâce à ses expériences et aux observations de son oncle, ce jeune homme va grandir et émanciper son esprit. Le Garçon et le Héron n'est pas qu'une adaptation fidèle de ce roman. Le film puise dans de nombreuses sources pour devenir sa propre histoire : dans Le Livre des choses perdues de John Connolly mais aussi et surtout dans la propre vie de Hayao Miyazaki. Le Garçon et le Héron regorge de clins d'œil à sa filmographie.

Un héritier ambitieux

On retrouve tous les ingrédients qui font d'un Ghibli, un Ghibli. Les petits esprits qui s'envolent rappellent les célèbres Kodama de Princesse Mononoké. Le duo garçon-fille autour duquel gravite toutes les histoires du réalisateur ou presque, les servantes de la maison rappellent les nombreuses vielles dames qui émaillent la filmographie de Miyazaki, la magie lumineuse ou visqueuse, la nature triomphante, la musique de Joe Hisaishi... Et n'oublions pas les plats ! Le film vous offrira une superbe tranche de confiture en gros plan comme les fans les aiment. Le Garçon et le Héron est un pur produit Ghibli.

Mais, si le film est un héritier loyal et fidèle des autres films du maître, il n'est pas une œuvre plate, sans ambition, recroquevillée sur ses codes nostalgiques. On retrouve une profondeur nouvelle et assez inédite dans ce long-métrage qui est certainement un film à clefs. Non pas que les autres films soient des récits simplistes mais Le Garçon et le Héron maintient en permanence une part de mystère et de complexité intrigante. Le scénario se déplie comme un kaléidoscope qui nous fait attendre la suite et douter constamment.

Le Garçon et le Héron est aussi un film très émouvant. La colère, l'humour, la solitude, l'aventure, l'amitié, l'amour, le déchirement, le deuil... Toutes les émotions d'une vie sont habilement encapsulées dans de nombreuses petites fables enfilées les unes après les autres. Une fable qui fait la place belle à la figure maternelle et à son absence. On retrouve aussi une bonne dose de réflexions philosophiques, en particulier à la fin du film, et quel plaisir de continuer à méditer après la séance. Le Garçon et le Héron fait partie de ces films qui vous accompagnent encore longtemps après la sortie du cinéma. Le signe incontestable que le réalisateur a, une fois de plus, visé juste.

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