Vous souvenez-vous de la collection des "livres dont vous êtes le héros" ? Ces petits romans qui vous demandent, en fonction de vos choix, de passer de la page 3 à la page 27 puis à la page 13... pour vivre une aventure de votre composition. Plusieurs sens de lecture, plusieurs parcours, plusieurs fins. Tout ça en une seule œuvre. Une lecture personnalisée, ludique et avec des enjeux.
Voici l'essence même de ce genre que l'on nomme "jeu de rôle" (ou RPG pour "role playing game"), un genre très populaire dans les jeux vidéo depuis plusieurs décennies, mais qui semblait perdre de sa superbe. Peu de dialogue, peu de personnalisation, des mondes gigantesques mais vides, des couloirs, des combats où il ne suffit que d'appuyer rapidement sur un bouton pour vous en sortir. Voici à quoi le genre des RPG était réduit dernièrement. Dernier exemple de cette mutation : Final Fantasy XVI qui a plus du grand film fantastique que du jeu de rôle tant le joueur est transformé en spectateur.
Mais un jeu vient prendre le contrepied de cette tendance pour revenir aux fondamentaux : Baldur's Gate 3 (sorti à la fin de l'été 2023 sur PC et PS5). Baldur's Gate est une référence à une ville bien connue de l'univers de Donjons & Dragons, le célèbre jeu de rôle de table auxquels les joueurs jouent à grand renfort de dés, de crayon et d'imagination. Un univers qui a eu droit à son film récemment (Donjons et Dragons : L'Honneur des voleurs avec Chris Pine) et qui redevient tendance avec des références saupoudrées un peu partout comme dans la série Stranger Things ou sur YouTube et Twitch où des groupes d'amis jouent en direct devant les caméras.
Baldur's Gate 3 - cela ne vous aura pas échappé - est une suite. Le troisième volet d'une franchise légendaire du jeu vidéo qui commençait à se faire oublier des joueurs. Baldur's Gate 2 est en effet sorti... en 2000. Il s'agissait d'un des meilleurs jeux de rôles de l'époque. Vous deviez créer votre personnage et partir à l'aventure avec une troupe d'amis en explorant le monde, dialoguant avec des dizaines de personnages et en vous battant au tour par tour avec une vue stratégique, vue du ciel. Un jeu où vous deviez prendre votre temps et peser chaque décision. Le succès est instantané : 2 millions d'exemplaires vendus et une trace indélébile dans la mémoire collective des gamers.
Baldur's Gate 3 est une suite de ces événements, vous retrouverez certains personnages, certains lieux, notions.. Mais, rassurez-vous, vous pourrez totalement attraper le train en marche et vous plonger pour la première fois dans cet univers avec le troisième volet. C'est le studio à taille humaine Larian qui a été chargée de prendre le relai (après BioWare). Déjà expérimenté dans le genre après le développement de sa franchise maison de RPG, Divinity: Original Sin, le studio belge et son charismatique patron, Swen Vincke, ont eu à cœur de résoudre une équation particulièrement difficile : honorer les fans et les experts de ces jeux et attirer dans ses filets le grand public. Une mission incroyablement difficile sur le papier... Mais après des dizaines et des dizaines d'heures de jeu, nous pouvons confirmer qu'elle est parfaitement accomplie. Baldur's Gate 3 parvient même à dépasser les espérances.
Quelle sera votre expérience de joueur ? Tout d'abord, elle sera probablement très différente de celle de tous les autres joueurs. Vous allez commencer par créer un personnage (ou choisir parmi quelques personnages préconçus qui, sinon, seront probablement vos compagnons de route). Serez-vous un druide elfe des bois, une ensorceleuse gnome, un barbe fiélon ? Votre race, votre passé, votre apparence, vos pouvoirs... Les combinaisons proposées sont infinies et elle n'impactent pas que l'esthétique et le combat... Le jeu entier va s'adapter à vos choix.
Si vous choisissez par exemple d'être un drow, sorte d'elfe de la nuit à la peau sombre, vous affronterez une belle quantité de remarques racistes... et pourrez choisir de les affronter avec diplomatie... ou avec fureur. Si vous décidez d'aider des enfants perdus sur le chemin, vos camarades les plus bienveillants apprécieront. Mais si vous décidez de renvoyer les gamins à leurs problèmes, le très sarcastique (et si drôle) vampire qui vous accompagne sera a-bso-lu-ment ravi. La quantité de choix à votre disposition est tout bonnement impressionnante.
Dans la gigantesque arborescence scénaristique pensée par les développeurs, vous trouverez des quêtes principales et secondaires, des histoires liées à vos compagnons (que vous pouvez choisir, éviter, tuer, renvoyer ou séduire pendant des heures), vous pouvez choisir d'être un génocidaire sanglant, un roublard adepte du mensonge ou le héros le plus noble imaginable. Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise solution... simplement les conséquences de vos choix. Comme dans la vie, les bonnes actions vous apporterons des alliés... mais aussi des problèmes. L'égoïsme le plus total peut vous apporter une certaine jouissance et des pouvoirs insoupçonnés.
C'est la grande variété des histoires et leur incroyable cohérence qui fait la qualité du jeu. Baldur's Gate 3 peut se jouer deux fois, cinq fois, cent fois de façon différente et vous ne serez pas encore sûrs d'avoir tout découvert. Vous n'avez qu'à choisir votre destin et laisser la chance vous guider. En effet, comme dans Donjons & Dragons, chacune de vos actions donnera lieu à un lancer de dé. Si le score est supérieur à celui exigé par le jeu, vous l'emporterez. Sinon, vous en subirez les conséquences. Ce n'est pas parce que vous décidez de mentir effrontément par exemple que les gens seront incapables de voir clair dans votre jeu. Les échecs, loin d'être frustrants, vous offriront de sublimes surprises.
Le jeu vous plongera tout de suite dans l'action. Après une bande-annonce épique, vous vous retrouverez au milieu d'un vaisseau en perdition d'une créature à la tête couverte de tentacules qui vous a contaminé en vous plongeant un têtard dans l'œil (âmes sensibles s'abstenir). Après votre fuite de cette geôle répugnante, vous et quelques compagnons, eux aussi contaminés, allez devoir chercher un moyen de vous débarrasser de cette larve. Une larve qui menace de vous transformer en tête de pieuvre... mais qui vous confère des pouvoirs psychiques mystérieux. Voici le point de départ d'une aventure, non pas remplie, mais gorgée de rebondissements.
D'après Larian, Baldur's Gate 3 dispose... de 17.000 fins différentes. Certaines sont des variations légères de telle ou telle fin, mais d'autres sont diamétralement opposées. Le jeu ne réclamera de vous aucun talent particulier en matière de réflexes et de dextérité. Même pendant les combats, le système implémenté vous permettra de faire tous les choix que vous souhaitez en prenant votre temps. Si vous n'aimez pas les combats, vous pourrez aussi facilement les éviter en dialoguant intelligemment avec vos ennemis, en empoisonnant leur soupe pendant qu'ils dorment ou en passant inaperçu, métamorphosé en chat.
Il existe, à la façon d'un The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, un nombre presque infini de possibilités pour résoudre les énigmes qui vous seront proposées : force, ruse, discrétion, diplomatie... Votre imagination et votre sens de l'observation seront vitaux. Et là est la grande force de Baldur's Gate 3 : il mobilise pleinement votre cerveau et vous immerge. Une richesse telle que la sortie du jeu a provoqué une quasi levée de bouclier d'autres studios de jeux vidéo, terrifiés à l'idée que Baldur's Gate 3 devienne une nouvelle norme dans le genre.
Vous l'aurez compris, Baldur's Gate 3 est une superbe réussite. Un travail minutieux effectué manifestement par une équipe dévouée et passionnée. Cette création pourra sans conteste prétendre au titre de meilleur jeu de l'année 2023 malgré une sacrée concurrence. Le jeu dispose, en plus des éléments déjà évoqués, d'atouts particulièrement marquants : une bande-son magique signée Borislav Slavov avec certains morceaux chantés pendant les combats à tomber par terre et des dialogues entièrement doublés par des comédiens brillants. Les voix sont en anglais mais leur expressivité est un pur régal. Les textes, en français, sont brillamment traduits et transmettent l'humour et l'esprit des scénaristes et dialoguistes qui sont véritablement les héros de Baldur's Gate 3.
Au rang des défauts, car nul jeu n'est parfait, nous avons joué à la version console du jeu. Si les menus sont désormais maîtrisés, il faut bien reconnaître que les joueurs sur PC, qui évoluent avec une souris et un clavier, seront bien plus à l'aise qu'avec une manette. Les choix, la gestion de l'équipement et des nombreux (très nombreux) objets disponibles rendent parfois chèvre lors des premières heures. Heureusement, le temps n'est jamais compté. Quelques bugs (qui sont réglés régulièrement par les développeurs grâce à des patchs correctifs) persistent ici et là, mais ils n'ont jamais nui à notre expérience.
En parlant de patchs, sachez aussi que Baldur's Gate 3 est un jeu à l'ancienne, ne comptez pas sur des compléments payants, des micro-transactions. Vous ne sortirez votre carte bleue qu'une fois et vous aurez un jeu très complet, sans piège, ni trou, entre les mains. Une rareté de nos jours.
Si vous êtes allergique à la lecture et aux œuvres bavardes, préférant l'action avant tout, vous devrez aussi passer votre chemin. Si vous voulez abandonner votre vie sociale pour dialoguer avec des araignées géante, mettre le feu à d'insupportables nains des profondeurs et expérimenter le jeu vidéo le plus riche jamais créé... Alors vous Baldur's Gate 3 sera pour vous !
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