Sur la courbe du graphique illustrant les agressions informatiques contre les serveurs du site internet "En marche !" d'Emmanuel Macron, l'attaque de mardi 14 février a provoqué un pic pointu comme la lame d'un couteau. "Celle-là", montre sur l'écran d'un ordinateur Mounir Mahjoubi, le responsable chargé du volet numérique de la campagne du candidat à la présidentielle, "il a fallu neuf minutes pour la neutraliser et relancer les serveurs. Elle était plus sérieuse que les autres".
Les systèmes informatiques (site internet, messageries, bases de données) de l'organisation de l'ancien ministre de l'Économie sont la cible, depuis l'annonce de sa candidature, de nombreuses tentatives d'attaques et d'intrusion, plus de quatre mille au cours du mois écoulé selon un décompte interne.
Au PC de campagne, dans un immeuble vitré du XVème arrondissement de Paris, la sécurité informatique est une priorité et une préoccupation constante, face à ce que Richard Ferrand, secrétaire général du mouvement, qualifie "d'attaques organisées et coordonnées par un groupe structuré, et non par des hackers solitaires", obéissant selon lui aux ordres des autorités russes. Des spécialistes en sécurité informatique ont néanmoins remis en cause cette version, expliquant qu'il est extrêmement facile de masquer une adresse internet pour lui donner une origine factice.
"Personne ne prend ça à la légère" assure Mounir Mahjoubi, 32 ans, ancien président du Conseil national du numérique. "C'est la troisième campagne que je fais" (après celles de Ségolène Royal en 2007 et François Hollande en 2012) "et c'est la première fois qu'à tous les niveaux, y compris à celui du candidat, tout le monde a conscience qu'il faut toujours se protéger, appliquer les meilleures règles".
Serveurs protégés par des logiciels de filtrage sophistiqué, emploi de plusieurs messageries et réseaux cellulaires cryptés, double ou triple authentification pour l'accès aux services de courriels, cloisonnements multiples, bases de données isolées comme des forteresses, mots de passe complexes régulièrement changés: toutes les précautions à la hauteur d'une structure comme "En marche !", qui ressemble à celle d'une PME, sont prises.
"Ensuite, dans ce genre d'organisation, la vraie faille potentielle, c'est l'humain", assure le patron des services informatiques, un autre trentenaire qui demande à rester anonyme. "Nous avons de la chance, nous avons beaucoup de technophiles dans nos rangs. Les autres, mon boulot est de leur faire peur, en leur montrant régulièrement les conséquences qu'un manque de vigilance a eu ailleurs".
Un autre membre de l'équipe digitale, qui lui aussi préfère ne pas révéler son identité, assure que les systèmes du mouvement "subissent un flux continu de tentatives d'intrusion, avec de temps en temps des attaques spéciales, sophistiquées, menées par des gens qui savent ce qu'ils font, avec de gros moyens, qui tentent des trucs nouveaux.
"Cela dit, nous ne gérons pas encore la France, nous n'avons pas de secrets d'État", ajoute en souriant Mounir Mahjoubi. "La seule chose vraiment confidentielle, c'est notre stratégie de campagne. L'essentiel est de ne pas perdre nos outils de travail, et ne pas perdre une journée, ou même une heure, de campagne. Mais comme nous veillons à utiliser plusieurs outils en parallèle, ça n'arrivera pas".
Plus encore que les tentatives de piratage ou d'intrusion,
c'est ce qu'ils qualifient de campagnes de désinformation et de dénigrement de
leur candidat organisées par des médias pro-Kremlin (ce que Moscou dément), qui
inquiètent Mounir Mahjoubi et son équipe. "Lutter contre ces rumeurs, ces mensonges, propagés et
relayés de façon experte par les réseaux sociaux est très compliqué", dit
Mounir Mahjoubi. "Il faut d'abord comprendre d'où ça vient. Pour ça nous avons
des outils de cartographie sociale, qui enregistrent et analysent 100% des
conversations sociales qui nous concernent".
Ces logiciels permettent de localiser la source de tout
post, article ou vidéo mentionnant Emmanuel Macron, et de suivre son
cheminement, ses voies de propagation sur la toile, ses relais et ses chambres
d'écho. "Parfois, ce sont des bombes de rumeur qui explosent et
durent deux ou trois heures, puis retombent", dit-il. "Que faut-il
faire ? Lancer notre groupe de partisans sur internet, à la fois des membres de
notre campagne et des bénévoles et allumer des contre-feux ou laisser passer ?
Le problème, c'est qu'il est beaucoup plus difficile d'animer positivement les
gens que de les animer dans la haine".