Guerres entre bandes : y a-t-il plus de rixes qu'avant ?
8 min de lecture
Prise de vue de la Porte d'Asnières à Paris (illustration)
Crédit : Google Street View
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Un défi de bagarre à mains nues entre ados qui finit en rixe mortelle. C’est le scénario désolant que révèlent les investigations de la police judiciaire parisienne sur le meurtre de Baba, un lycéen de 16 ans mortellement poignardé le 11 novembre dernier à Paris, à deux pas de la porte d’Asnières. Le dossier d’enquête que RTL a pu consulter met à jour les rivalités futiles entre les jeunes de "PDA" (Porte d’Asnières), dont faisait partie Baba, et les jeunes de "PSO" (Porte de Saint-Ouen) qui ont abouti au drame. A ce jour sept mineurs et un jeune majeur de "PSO" sont mis en examen pour meurtre en bande organisée.
Tout commence le 6 novembre au niveau de la porte de Clichy, à mi-chemin entre les deux quartiers rivaux, séparés par quatre stations de tramway. Selon l’un des suspects mis en examen, un groupe d’ados de "PSO" croise par hasard des rivaux de "PSA". Mauvais regard ou provocation, le point reste à éclaircir, mais un groupe fait savoir à l’autre qu’"il a un souci". Le ton monte. "Ça a continué sur Snapchat où des gars de Porte d’Asnières ont dit à ceux de Porte de Saint-Ouen de venir pour que les deux puissent s’expliquer", raconte aux enquêteurs l’un des protagonistes. "Nous y sommes allés à quinze, toute l’équipe des 2006 et quelques renforts des 2005. De là il y eu bagarre générale".
Aucun couteau n’est sorti lors de cette première rixe, seuls les poings parlent. Détail futile, des bonnets sont dérobés selon plusieurs participants. La montée de tension, phénomène récurrent entre les deux quartiers, aurait pu en rester là. Mais quelques heures plus tard deux adolescents de la porte de Saint-Ouen retournent porte d’Asnières pour régler le conflit et l’affaire des bonnets. Et arrivé sur place, un des émissaires est à son tour frappé alors qu’il n’a pas pris part à la bagarre.
C’est l’étincelle qui va mettre le feu aux poudres. Car un des amis de l’émissaire malmené décide de le venger, comme il le reconnaitra ensuite lors de ses auditions par la Brigade criminelle: "Suite aux coups reçus, A. a écrit à B. sur Snapchat pour lui présenter ses excuses et lui dire que l’histoire était close. Mais je n’ai pas accepté que ça se termine si facilement, il y avait injustice, j’ai décidé de me battre en tête à tête avec A. et après ce serait terminé".
C’est à partir de là que s’organise le "1vs1", autrement dit une bagarre à un contre un, à mains nues, devant témoins, censée solder le conflit du moment entre les bandes de "PSO" et "PDA". Des messages circulent sur les réseaux sociaux. L’affrontement est annoncé. Rendez-vous est pris pour le 11 novembre au soir.
A ce stade, Baba n'est pas impliqué. Il fait certes partie de "PDA" mais n'apparait pas dans cette première séquence. Le jeune homme de 16 ans est en CAP dans un lycée du 13e arrondissement. Selon une de ses sœurs il sèche beaucoup les cours, il est "connu des services de police pour des bêtises même des trucs un peu graves", en l’espèce une tentative d’extorsion aggravée et le tournage d’un clip avec une fausse arme, mais elle décrit son frère comme quelqu’un de "gentil et respectueux".
Le 11 novembre vers 19h00 les "PSO" se retrouvent au Gotham, un snack hamburgers-kebabs proche de leur quartier où certains ont leurs habitudes. Ils sont d’abord quatre puis dix. "On m’a demandé de venir au cas où ça dégénérerait" explique l’un d’eux face aux enquêteurs.
En garde à vue, les plus bavards corroboreront cette version tandis que d’autres affirmeront, au contraire, qu’ils ne savaient rien de ce qui se préparait. Un élément vient éclairer la connaissance du potentiel extrêmement dangereux de leur expédition. Autour de la longue table du Gotham, un des mineurs exhibe un très long couteau "au manche noir, plus grand qu’un hachoir à viande". Il faudra plusieurs auditions avant que la plupart des participants ne reconnaissent avoir vu l’arme.
L'effet de groupe a tout détruit sur son passage
Antoine Ory, avocat d'un des mis en examen
Vers 21h00 le groupe se met en route vers la porte d’Asnières. Personne ne suggère de faire machine arrière. En plus du couteau, un autre membre de "PSO" se muni d’un rouleau à pizza, un troisième d’une chaîne de scooter, un dernier d’une matraque télescopique. Selon Antoine Ory, l’avocat de l’un des mineurs impliqués, l’effet de groupe doit être pris en compte : "Sur le coup effectivement mon client ne se rend pas compte, de même que personne ne se rend compte, puisque tout va très vite, il y malheureusement cet effet de groupe qui détruit tout sur son passage jusqu’à ce que l’irréparable se produise."
Tous les jeunes embarquent dans le tramway. Il est 21h17, sur les images de vidéosurveillance la plupart ont le visage dissimulé par des capuches, des cache-cous ou des cagoules noires et portent des vêtements sombres. "Je m’habille tous les jours comme ça" diront plusieurs suspects lors de leurs interrogatoires.
Trois minutes plus tard le groupe arrive à Porte d’Asnières. Les "PDA" sont là, devant l’école où ils ont l’habitude de se "poser" en fin de journée, dont Baba lorsqu’il rentre de ses cours en CAP. L’ado est là, il joue aux cartes.
Les deux jeunes hommes qui ont prévu de s’affronter se mettent face à face selon les récits de plusieurs témoins. Ils commencement à se battre devant les autres jeunes qui regardent. Rapidement, l’un des deux adversaires prend le dessus. Des spectateurs l’agrippent alors par derrière. "Ceux de porte d’Asnières ont commencé à s’énerver car il ne faut pas interrompre un tête-à-tête et c’est parti en bagarre générale" décrit sur procès-verbal l’un des mis en examen. La scène dure à peine deux minutes, des coups sont échangés entre les deux camps. Baba est dans la mêlée. Soudain quelqu’un crie "wesh ils l’ont planté". A 21h24 Baba s’effondre au sol, touché par un coup de couteau mortel. "Il était devant, ça aurait pu être n’importe qui d’autre" dira un de ses amis.
Le groupe de la Porte de Saint-Ouen, dont fait partie le mineur qui a frappé, part en courant. Les fuyards tentent de prendre le tramway mais le départ n’est prévu que six minutes plus tard. Les adolescents se dispersent à pied. Devant l’école, des membres de "PDA " ont sorti à leur tour des fourrés un Opinel n°13 à lame de vingt-deux centimètres, plusieurs témoins l’attestent, mais les graves blessures de Baba, qui gît inanimé au sol, stoppent toute velléité de représailles. Transporté en urgence absolue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, l’adolescent ne peut être sauvé. Il décède dans la soirée.
Dès le 16 novembre, sept jeunes hommes de "PSO" sont interpellés dont six mineurs. Certains ont effacé leurs comptes Snapchat ou jeté les affaires qu'ils portaient de peur d’être reconnus sur la vidéo-surveillance. D’autres se présentent d’eux même et collaborent sans difficulté. Quelques-uns sont connus de la police pour des faits de délinquance mais aucun n’a de casier judiciaire, c'est à dire de condamnation. Tous se révèlent lycéens, étudiants ou apprentis même si leurs parcours scolaires sont parfois chaotiques. Le plus âgé, majeur, expliquera même avoir monté une association contre les rixes quelques mois plus tôt. Deux des protagonistes identifiés manquent à l’appel.
L’un d’eux a fui en Espagne d’où il reviendra très vite pour se constituer prisonnier. L’autre a gagné la Tunisie d’où il est originaire. C’est l’auteur présumé du coup de couteau mortel d’après plusieurs témoins. Il est inconnu des fichiers de police et de justice. Il n’a pas été interpelé à ce jour.
C’est en Guinée d’où il est originaire que le père de Baba apprendra la nouvelle de la mort de son fils. Devant les policiers, il décrit un garçon "très calme, qui n’a pas de problème mais surtout il dit "ignorer" les rivalités entre les deux quartiers qui ont coûté la vie à son fils.
Les auditions menées par la Brigade criminelle révèlent pourtant une rivalité ancienne qui se transmet de génération en génération entre la Porte d’Asnières et la Porte de Saint-Ouen : "Il y a toujours eu des embrouilles" lâche l’un des suspects. Et ce malgré les matchs de foot et les associations qui tentent de faire dialoguer les jeunes.
Ils ont perdu la notion qu'une arme peut blesser, tuer
Romain Ruiz, avocat d'un des suspects.
L’enquête témoigne aussi de l'inconscience manifeste face à la violence. Interrogé sur la raison d’être allé assister à une bagarre qui pouvait mal tourner, l’un des protagonistes les plus âgés ne réalise pas : "Il y avait déjà eu des rencontres comme ça et ça n’avait pas dégénéré".
Pour l’avocat Romain Ruiz, qui défend un autre des mineurs mis en examen, cette inconscience du danger est réelle : "Ils ne se rendent pas compte parce que ce type de bagarres arrive souvent dans certains milieux urbains, donc on perd la notion qu’une arme ça peut blesser, ça peut tuer. Mon client a la sensation d’avoir participé à quelque chose qui l’a absolument dépassé". L’avocat souligne que la plupart des jeunes impliqués se connaissaient, "ça reste des jeunes d’une même génération qui fréquentent parfois les mêmes établissements, la mort de l’un d’entre eux c’est un drame quelque soit son camp".
Maitre Antoine Ory décrit également son client comme "dévasté", "c’est un drame pour la famille du défunt, et c’est un drame pour tout le monde, il a tout de suite regretté, il devra vivre avec cela."
La famille de Baba, contactée, par RTL n’a pas souhaité s’exprimer. L’enquête de la Brigade criminelle doit encore préciser le rôle de chaque protagoniste et la raison précise pour laquelle Baba a été ciblé. En attendant leur procès, la plupart de mineurs impliqués ont été remis en liberté sous contrôle judiciaire. Ils encourent jusqu'à trente ans de prison devant la Cour d'assises des mineurs pour meurtre en bande organisée. L’auteur présumé du coup de couteau, lui, est toujours en fuite.
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