Scènes de chaos, Lula "sidéré", l'ONU "horrifiée"... Ce que l'on sait de l'opération antidrogue à Rio, qui a fait au moins 132 morts

Au Brésil, la population carioca est en deuil. Ce mardi 28 octobre, la plus grande opération policière jamais organisée à Rio de Janeiro a causé la mort d'au moins 132 personnes, selon un décompte dévoilé mercredi par les services du Défenseur public, un organe de l’État de Rio qui offre une assistance juridique aux plus démunis.

Ce nouveau chiffre communiqué à l'AFP double le décompte officiel connu jusque-là. Le gouverneur de Rio, Claudio Castro, a dit pour sa part que le bilan officiel de l'opération, qu'il a qualifiée de "succès", se maintenait autour d'une soixantaine de morts : 54 criminels présumés et quatre policiers. Et ce, après avoir précisé que cela pouvait évoluer puisque les décès ne sont comptabilisés qu'à leur arrivée à la morgue. Selon la presse brésilienne, 81 personnes ont par ailleurs été arrêtées.

Le président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva est "sidéré" par le nombre de décès et "s'est montré surpris du fait qu'une opération de cette envergure ait été mise en place à l'insu du gouvernement fédéral", a déclaré le ministre Ricardo Lewandowski à Brasilia.

2.500 agents des forces de l'ordre mobilisés

L'opération baptisée "Confinement" a mobilisé 2.500 agents des forces de l'ordre contre le Comando Vermelho (CV), le principal groupe criminel de Rio qui opère dans les quartiers populaires densément peuplés.

Ces raids ont eu lieu au Complexo da Penha et au Complexo do Alemao, vastes ensembles de favelas situés dans le nord de Rio, à proximité de l'aéroport international.

D'après CNN Brasil, cette action est le fruit de plus d'un an d'enquête menée par le DRE, le bureau de police de répression des drogues. Son objectif principal était de lutter contre l'expansion territoriale du CV et de signifier 100 mandats d'arrêt contre ses membres, ajoute le média en citant le Secrétariat de la Sécurité publique local et le gouvernement de l'État de Rio.

Selon cette même source, l'opération a entraîné la saisie de 93 fusils, un nombre dépassant largement la moyenne mensuelle de rétention de ce type.

Des scènes de chaos et des milliers d'habitants bloqués

En tout, la police a mobilisé deux hélicoptères, 32 véhicules blindés et 12 véhicules de démolition, en plus de drones. Des rafales de tirs intenses ont été entendues tout au long de la journée de mardi, et d'épaisses colonnes de fumée s'échappaient de nombreux endroits dans les favelas visée par l'opération, qui a plongé une grande partie de la ville dans le chaos.

En réponse à l'action de la police, le CV a également usé de technologies, étant repérés en train de larguer des bombes dans une communauté par l'intermédiaire d'un drone, souligne CNN Brasil.

Des écoles avaient suspendu les cours, les transports publics ont été lourdement perturbés et des milliers d'habitants sont restés coincés, incapables de rentrer chez eux.

Plus de 40 corps alignés dans la rue par des habitants dénonçant des "exécutions"

Mercredi, les habitants d'une favela ont aligné plus de 40 corps sur une place, près de l'une des principales voies d'accès au Complexo da Penha, ont constaté des journalistes de l'AFP, frappés par l'odeur étouffante des cadavres. On ignore encore s'il s'agit de ceux d'une partie des victimes.

Certains habitants dénoncent des "exécutions". "Beaucoup d'entre eux ont été tués d'une balle dans la nuque, un tir dans le dos", dit à l'AFP Raull Santiago, un activiste qui réside dans le quartier.

"On voit des marques de brûlure, des personnes ont été attachées. Certains se sont rendus, mais ont été tués de sang-froid", affirme l'avocat Albino Pereira Neto, qui représente trois familles ayant perdu un de leurs membres.

L'ONU se dit "horrifiée" et demande des "enquêtes rapides"

Le gouverneur Claudio Castro, a ordonné de renforcer les patrouilles sur tout le territoire de l’État de Rio, en particulier sur les principales voies rapides, les accès à la région métropolitaine et les transports publics. 

L'efficacité de ce genre d'opération est régulièrement contestée. "Il est irrationnel de penser qu'en tuant des jeunes impliqués dans le crime, on peut y mettre fin alors que les groupes criminels disposent d'une offre inépuisable de main-d’œuvre", dit à l'AFP la sociologue Carolina Grillo. "Il faut combattre de façon plus intelligente, en s'attaquant par exemple à leurs finances ou à l'approvisionnement en armes". 

Si les raids des forces de l'ordre sont fréquents à Rio dans les favelas, l'opération de mardi, par son ampleur et son bilan humain, a créé un véritable choc. "L’État est venu perpétrer un massacre. Ce n'est pas une opération, ils sont venus directement pour tuer", a crié au micro de l'AFPTV une femme qui sanglotait, la main posée sur le visage d'une jeune homme dont le corps a été recouvert d'un drap vert. 

Le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme s'est d'ailleurs dit "horrifié". "Cette opération meurtrière s'inscrit dans la tendance des conséquences extrêmement létales des opérations policières dans les communautés marginalisées du Brésil. Nous rappelons aux autorités leurs obligations en vertu du droit international relatif aux droits humains et les exhortons à mener des enquêtes rapides et efficaces", a écrit l'agence sur son compte X.

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