Rachid Thabti : faux prince turc, "James Bond" algérien… Pourquoi a-t-il coûté cher à la France ?

Un farouche patriote algérien, presque trop. Rachid Thabti, boxeur, acteur, ou encore diplomate, a proposé son aide aux services secrets de son pays. Et grâce à lui, en quatre ans, l’Algérie a pu nationaliser son pétrole à bon compte, au détriment des intérêts français. Des archives inédites ont été dévoilées par L'Express. 

Un vrai personnage de roman. Ce gamin de Constantine a débarqué à Paris à l'âge de 20 ans, dans les années 50. Il étudiait le droit et, en même temps, il était boxeur. Il a même réussi à passer professionnel (12 victoires en 14 combats). Et avec sa gueule de beau gosse, il a aussi fait l'acteur. Il est apparu au cinéma dans le Comte de Monte-Cristo avec Jean Marais ou à la télévision dans un épisode des Cinq Dernières Minutes.

Ensuite, il a changé de casquette. Il a fait commercial, libraire ou encore prof de sport. Il a aussi été presque étudiant à l'ENA, il a pourtant passé le concours. Finalement recalé, il a été embauché à l’ambassade d’Algérie à Paris. 

Officiellement, il était secrétaire. Mais la préfecture suivait à la trace Rachid Thabti. Elle savait que cet homme était un espion, qui récoltait des renseignements économiques. Mais elle n'a pas vu qu'il était carrément infiltré au Quai d’Orsay, avec un accès aux données les plus sensibles. 

Comment a-t-il réussi ?

L'Algérie et les femmes étaient les deux amours de Rachid Thabti. Les dames adoraient son charme de brun ténébreux, moitié caïd, moitié dandy. C'était la clé de son succès. Rachid est devenu Richard, assurant être le prince de Marmara, une île turque. Durant l'été 1966, à force de traîner dans les ministères, il a rencontré Béatrice Halegua, la secrétaire d'un ponte du Quai d'Orsay. Ce dernier était le diplomate chargé des négociations pétrolières avec l’Algérie.

Béatrice était le maillon faible, le genre à rêver au prince charmant. Le faux prince a couvert de cadeaux la secrétaire, il lui parlait de l'épouser. Et puis, l'air de rien, il lui a glissé que, s’il avait accès à quelques notes confidentielles, il pourrait briller dans les soirées. "Je ne voyais plus que lui, j’ai été prise dans un engrenage", dira plus tard la pauvre fonctionnaire.

L'espion a donc eu accès à ces notes, plus de 200 documents, parfois même des comptes-rendus de réunions à l'Élysée. Un avantage décisif dans les négociations. Comme par magie, l'Algérie a déjoué tous les pièges, c'est d'ailleurs ce qui a rendu les Français soupçonneux. 

Rachid Thabti a finalement été démasqué, il a pris dix ans de prison. Il n'a pas fait cette peine, un échange d'espions entre Paris et Alger a été organisé. De toute façon, c'est trop tard. La nationalisation du pétrole algérien a été actée, l'humiliation du Quai d'Orsay ineffaçable.