Élaborée dans le but de lutter contre l'espionnage industriel, la loi - en cours d'adoption - relative au "secret des affaires" s'est fait beaucoup d'ennemis. Le 24 mai, se déroule la Commission mixte paritaire sur la proposition de loi. C'est la troisième fois que les différents gouvernements tentent de la faire adopter, malgré la grogne. Surtout du côté des journalistes, mais aussi des associations, syndicats et lanceurs d'alerte.
En cause ? Selon eux, cette loi mettrait en danger le travail des journalistes d'investigation et des lanceurs d'alerte car elle donnerait le droit aux entreprises et groupes d'engager des poursuites si leur "secret des affaires" est mis à mal. Or, beaucoup y voient une obstruction à la liberté de la presse, de l'information. Notamment à cause de la définition du "secret des affaires", considérée comme floue et variable en fonction du tribunal.
"En un mot, la société civile est priée de renoncer à ses droits, de s’incliner devant le pouvoir économique, la puissance de l’argent", résume ainsi Médiapart. Même si la ministre de la Justice, Nicole Belloubet, a assuré que "les juridictions, gardiennes des libertés individuelles, feront la balance des intérêts en présence en veillant à ce qu'aucun lanceur d'alerte ne soit condamné", l'opposition y voit toujours un "risque de voir les entreprises multiplier les procédures abusives à l'encontre de journalistes, organes de presse, lanceurs d'alerte ou associations détenteurs d'informations sur leur activité", a réagi Jacques Bigot, sénateur socialiste.
D'après le site d'investigation ou une pétition lancée en 2015 contre une proposition de loi similaire, de nombreux scandales révélés ces dernières années auraient pu ne pas voir le jour avec cette loi, comme le Mediator, les Panama Papers ou du bisphénol A. Trois exemples brandis dans la lettre ouverte au président, publiée le 16 avril dernier et signée par de nombreux médias, syndicats et associations. Selon Médiapart, la liste de ces affaires est "infinie".
Avec cette nouvelle loi, "parler des dangers du Mediator, c’est porter atteinte aux intérêts économiques, combien présents dans cette affaire, du laboratoire Servier", avance ainsi Médiapart.
Cette affaire a été mise à jour par Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, en 2010 avec la publication de son livre Mediator 150 mg : combien de morts ?. Un scandale largement médiatisé. Et Irène Frachon est alors devenue une "lanceuse d'alerte". Elle raconte dans Le Monde, à l'occasion de la sortie de La fille de Brest, inspiré de son histoire : "Quand les médias s’en sont emparés, je me suis dit que j’avais fait le job".
Depuis, la Cour de cassation a pour la première fois validé la responsabilité civile des laboratoires Servier, fabricants du Mediator, pour avoir maintenu la commercialisation d'un médicament qui "présentait un défaut" faute d'information sur ses risques. 2.846 patients ont été indemnisés.
C'est en 2010 que les députés ont voté une loi interdisant la présence de bisphénol A dans les biberons. Pourtant, comme le raconte Le Monde dans un article datant de 2011, des études ont commencé à fleurir des la moitié des années 1990 pour alerter contre les dangers sanitaires de la substance chimique. Un combat entre études indépendantes contre études commandées par des industriels, et mises sur le même pied d'égalité, dure pendant des années.
En France, il est censé être complètement interdit depuis 2015. Pourtant, une enquête menée par 2.500 médecins rassemblés dans l'Association Santé et Environnement France (Asef) en collaboration avec l'émission On n'est plus des pigeons sur France 24, révélait en avril 2016 la présence de bisphénol A dans une canette de boisson gazeuse vendue dans le commerce.
Avril 2016, coup de tonnerre dans les dossiers concernant l'évasion fiscale. Un chamboulement que l'on doit à un lanceur d'alerte resté anonyme et seulement connu sous le pseudonyme de John Doe.
Ce dernier fournit 2.6 téraoctets de données à un journal allemand concernant des sociétés coupables d'évasion fiscale. Puis, ces documents sont fournis à des médias du monde entier qui révèlent le scandale financier en avril. Les "Panama Papers" sont relayés par 109 médias internationaux dans 76 pays.
Depuis, la lutte contre l'évasion fiscale est devenue un sujet récurrent chez les responsables politiques. Le 28 mars dernier, le gouvernement a promis de "muscler" la lutte contre la fraude fiscale. Plusieurs banques françaises, comme la BNP, le Crédit Agricole ou encore la Société Générale étaient citées dans les documents.