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REPORTAGE - Narcotrafic : les ministres passent sous silence le manque de moyens de la prévention de la délinquance

RTL a accompagné une éducatrice de rue dans une cité du Sud-Est de la France, où la misère sociale des jeunes adolescents fournit un terreau inépuisable aux trafiquants de drogue qui cherchent à recruter de la main d’œuvre. Certains magistrats dénoncent un manque de clairvoyance politique à l’heure de s’attaquer aux racines du narcotrafic.

La chaise d'un guetteur sur un point de deal (illustration)
Crédit : Hugo Amelin/RTL
REPORTAGE - Narcotrafic : les ministres passent sous silence le manque de moyens de la prévention de la délinquance
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Hugo Amelin
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En déplacement vendredi 8 novembre à Marseille, les ministres de l’Intérieur Bruno Retailleau et de la Justice Didier Migaud ont évoqué un durcissement des conditions de détention et des cours d’assises spéciales pour juger les trafiquants de drogue. Mais peu de mots sur la jeunesse des acteurs de ce business alors que des fusillades ont tué 7 mineurs en 2023 dans la cité phocéenne et provoqué la mort de plusieurs victimes totalement étrangères au trafic ces dernières semaines en France. Comme Anis, tué à Poitiers sur la terrasse d’un kebab fin octobre, alors qu’il n’avait que 15 ans. 

À une centaine de kilomètres au nord de Marseille, ce n’est pas Mexico, mais Carpentras. Cité du "Pous du Plan", bâtiments de 4 étages aux façades refaites, goudron lisse. Mais aucun commerce, aucun service public de proximité pour les 1.300 citoyens qui y vivent. Sauf la Police, qui passe généralement le lundi. De grandes traces noircies sur les murets, stigmates de feux de camps improvisés pour réchauffer les petites grappes d’adolescents qui passent leurs vies dehors. Avec son look passe-partout et son regard malicieux, Elisabeth marche à leur rencontre quotidiennement. Après 10 ans en banlieue parisienne, cette éducatrice de rue, débarquée dans le Vaucluse en 2022, a constaté que la misère est toute aussi prégnante au soleil.

"On s’occupe de tous les jeunes dehors et notamment ceux qui 'travaillent' ici (dans le trafic ndrl). Ils viennent d’un peu partout : Paris, Toulouse, Marseille. Leurs familles sont souvent en grande difficulté financière. Un peu perdus, ils viennent pour se faire des sous, mais aussi pour trouver une place, une reconnaissance auprès d’un groupe. Notre travail, c'est d’instaurer un lien de confiance : mon éducateur ne va pas me juger ou me 'balancer' aux flics, il va trouver des solutions", nous raconte-t-elle. 

"Cet ado a probablement connu des échecs dans ses démarches précédentes. Ma mission, c'est de lui dire : 'Viens avec moi, je vais t’accompagner, à la mission locale par exemple, et on va le chercher ensemble, ton stage, ton emploi'", relève cette salariée de l’association Dunes, dont la mission de prévention de la délinquance est financée à 100% par le département. Une insertion professionnelle toujours plus difficile à décrocher avec un prénom à consonance étrangère et une adresse située dans un quartier qui fait souvent la une pour de mauvaises raisons. 

Bon écolier devenu dealer

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On discute en zigzaguant entre les blocks. Entouré de cannettes vides et d’emballages plastiques, nous tombons sur un groupe d’une quinzaine de jeunes qui discutent, fument, regardent leurs portables, un peu mornes. À quelques mètres, on identifie deux vendeurs de shit, assis sur des chaises de pêcheurs avec une liasse de billets de 10 et 20 euros dans la main. "Salut les gars !", lance Elisabeth. "Salut", répondent ces derniers. On s’éloigne un peu. "L’un des deux ados que vous venez de voir, je le connais, il est déjà venu me voir pour trouver une formation. Il avait de bonnes notes à l’école et en attendant une réponse, eh bien, il continue de bosser pour le trafic, c’est sa seule rémunération", détaille la cheffe du service prévention spécialisée.  

Ici le taux de pauvreté est de 72%. Les dealers, âgés de 15 à 22 ans, sont des employés payés 180 euros la journée par le grand chef, qui n’est pas dehors à se geler en cet après-midi automnal. Elisabeth voit passer des "offres d’emploi" sur Snapchat ou Tiktok : une photo de la cité, avec poste à pourvoir sur le point de deal, salaires détaillés selon les missions et même Airbnb inclus. Argent facile illusoire.

On ne paye pas un loyer avec l’argent du trafic, on ne prend pas un appart sans fiche de paye, on se nourrit et tout le reste est cramé dans les semaines qui suivent

Elisabeth, éducatrice de rue

"Mettre l’argent de côté et le réinvestir, je n’ai vu qu’un jeune y parvenir en quinze ans de carrière". Les contrôles de police offensifs, la prison, la peur d’une rafale d’arme de guerre : tous ces risques sont intégrés, acceptés par ces jeunes de même pas 20 ans, qui survivent au jour le jour.

Les adultes pressent le pas pendant que les ados tiennent le pavé. "Aujourd’hui, il n’y a plus ce respect vis-à-vis des habitants du quartier, car les jeunes n’en font pas partie, ils ont grandi ailleurs. Ils s’identifient seulement au groupe du réseau de stupéfiants. Ça impacte les habitants qui subissent plus de violences", analyse Najet Akalay, la directrice de l’association Dunes dans le Vaucluse. Elle essaye de maintenir un dialogue, une cohabitation, milite pour que les habitants puissent réinvestir l’extérieur sans peur, comme lors de séances de cinéma en plein air l’été. 

Une protection de la jeunesse en souffrance

Certains jeunes dévissent et les systèmes censés les accompagner aussi. Des professionnels de la justice dénoncent un double discours au sommet du gouvernement. "Alors que le gouvernement se répand sur l’implication des mineurs dans le narcotrafic, ils ne cherchent pas à entendre les professionnels de cette matière. Durant l’été, plus de 50 postes d’éducatrices et éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse ont été brutalement supprimés en région PACA. Laissant des adolescents sans suivi, au risque de mise en danger et de captation des réseaux de trafiquants. Le sujet n’est ni l’excuse de minorité ni les comparutions immédiates, mais bien la misère sociale, l’avenir bouché et la force d’attrait des réseaux dans des quartiers où les services publics sont en déshérence", cingle un communiqué du syndicat de la magistrature. Les juges pour enfants n’ont pas fait partie des "experts" que le Garde des sceaux a souhaité rencontrer vendredi lors de sa visite à Marseille.

Une sirène résonne au Pous du Plan. Elisabeth note qu’on est lundi. "J’ai eu un jeune majeur qui sortait de prison, qui voulait arrêter de dealer. Alors comme ils me disent tout le temps que les jobs que je leur propose sont payés au SMIC, j’ai pris le contrepied : mais pourquoi tu veux arrêter ? tu gagnes bien ta vie. Il m’a répondu que lors de la perquisition, il avait vu sa petite sœur et sa mère menottées et il a compris qu’il ne fonderait jamais une famille en continuant sur cette voie. C’est le genre de valeur que l’on tente de transmettre et quand ça marche pour un, ça donne des idées aux autres", conclut l’éducatrice de rue.

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