Il est l'homme qui fait trembler les grandes fortunes. À 42 ans, Hervé Falciani, génie des algorithmes, est à l'origine du Swissleaks, un vaste scandale d'évasion fiscale autour de la filiale helvétique de la banque HSBC. Les fichiers de cet expert en informatique ont permis à un consortium de journalistes de dévoiler sous la houlette du Monde un immense système d'évasion fiscale au sein de la banque suisse. Et l'effet domino n'est peut-être pas terminé puisqu'il assure ce mardi que seule "la partie émergée de l'iceberg" a été révélée.
Pas moins de 180 milliards d'euros auraient transité à Genève via les comptes de plus de 100.000 clients et de 20.000 sociétés offshore dans le monde. Paul Bocuse, Gad Elmaleh, Cédric Klapisch, Jacques Dessange, Mohamed VI et bien d'autres figurent parmi ses victimes. La vague mondiale d'enquête et de contrôles fiscaux déclenchée par ses révélations a déjà permis aux États floués de faire rentrer plusieurs centaines de millions d'euros. Dont plus de 300 millions en France.
Pour son avocat William Bourdon, "C'est un lanceur d'alerte hors norme" qui "est à la banque ce que Snowden est à la surveillance de masse". Depuis qu'il est sorti de l'ombre, en 2008, le Franco-Italien mène une existence rocambolesque. Traqué en Suisse pour "violation du secret bancaire", il est accusé d'avoir volé les fichiers clients de la HSBC. Emprisonné en Espagne, il prête désormais main forte aux juges anticorruption ibériques. Sous protection en France, il est aujourd'hui chargé de mission auprès du ministère des Finances à Bercy.
Bien des années avant d'être érigé en héros des lanceurs d'alerte de la finance mondialisée, Hervé Falciani ne se prédestinait pas vraiment à ce noble dessein. Fils de banquier, élevé à Monaco, le jeune Falciani fait ses premiers pas professionnels dans les années 1990 à la sécurité de la Société des bains de mer, à la tête d'établissements de luxe sur le Rocher. Embauché à la HSBC en 2000, il met ses talents en informatique au service de l'exploration de données (le data mining).
L'élégant informaticien réalise son premier coup d'éclat en 2001. Il épingle les pratiques d'un golden boy de la côte d'Azur qui détournait les fonds de ses clients dont un certain Michael Schumacher. Un tour de force qui lui vaut d'être promu en 2005 à Genève, dans le saint des saints de la banque helvétique. Moins de trois ans plus tard, il sort de sa réserve et dénonce un système : des opérations opaques organisées pour brouiller les pistes des clients fortunés. "Un client normal ne va pas à la banque pour que l'on perde sa trace. Mais dans la banque privée, c'est ce qu'on fait", explique-t-il alors.
Une fois le doigt mis dans l'engrenage, la riposte s'organise. La justice suisse lance un mandat d'arrêt international contre lui. Réfugié dans sa maison de vacances du sud de la France, il trouve en Éric de Montgolfier une planche de salut. Le procureur parvient à dissuader Michèle Alliot-Marie d'accéder aux requêtes de Genève avant d'ouvrir une enquête sur l'un des plus gros dossiers d'évasion fiscale de l'histoire. Sous la houlette de Jean-Christophe Lagarde, le ministère des Finances transmet la liste à d'autres pays, comme la Grèce où elle provoque un scandale national dans un contexte de crise économique.
Le récit de ses pérégrinations est digne d'un roman d'espionnage. "Il avait obtenu accès à des données cryptées qui n'ont plus été cryptées pendant un court moment. Il se les procure puis essaie de partir avec sa maîtresse pour les vendre au Liban, ça ne marche pas. Il revient en Suisse, qui veut l'arrêter, le met sur écoute, il s'en rend compte, mais au même moment il est en relation avec les services secrets français, il se réfugie en France et décide de se transformer en lanceur d'alerte. Il transmet ses fichiers au fisc français", a résumé Gérard Davet, l'un des journalistes du Monde coauteur de l'enquête, sur France Inter lundi.
Son combat solitaire contre la finance mondialisée lui a donné le goût de l'action collective et de la politique. Il alterne entre "Nouvelle Donne" le mouvement souverainiste de Nicolas Dupont-Aignan et la gauche radicale tendance Podemos en Espagne et ne cache pas sa "sympathie" pour la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann ou encore le député PS Yann Galut. Lors des dernières Européennes, il est même tête de liste en Espagne sous les couleurs de Partito X, une formation née du mouvement des "Indignés", mais n'a pas été élu. Le parti anti-libéral Podemos a annoncé lundi qu'il allait lui commander un rapport sur la lutte contre la fraude fiscale.
La presse suisse met, elle, en valeur "les bisbilles" d'Hervé Falciani avec son employeur "au sujet de son salaire". Certains articles s'attachent à le décrire comme "séducteur" et "pragmatique", en récusant le portrait "idéaliste" fait de lui en France. Même si, dans le portrait qu'il lui consacre, Le Monde explique qu'"il a été successivement informaticien, détrousseur de données sensibles, chevalier blanc, mythomane, manipulateur, lanceur d'alerte puis victime du système" et le décrit volontiers en "flambeur, joueur de poker patenté, dragueur de piscine", en somme "pas forcément le genre de type à qui l'on confie les secrets de l'une des plus puissantes banques mondiales privées".
Lui n'en a cure et s'évertue depuis plusieurs mois à jeter des ponts entre l'administration fiscale de Bercy et l'Institut national de recherche en informatique et automatique où il a travaillé pendant des années. Avec le rêve de voir un jour les justices et les fiscs s'unir au sein d'un "Hadopi financier".