Ecriture inclusive: ce qui se joue à l'école
Le 28 janvier dernier, le député François Jolivet a demandé l’interdiction de l’enseignement de l’écriture inclusive dans les écoles.

Il y a quelques jours, des étudiants de Sciences Po affirmaient que leur professeur de sociologie les avait menacés de les pénaliser s'ils n'utilisaient pas l'orthographe inclusive. Mais mercredi dernier, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal a balayé d’une phrase une proposition de loi de la majorité visant à l’interdire dans les documents administratifs, arguant que ce débat n’était pas prioritaire.
Il enflamme pourtant les réseaux sociaux et, du plus haut sommet de l’Etat jusqu’aux conversations entre amis, il est un sujet de dispute récurrent. La langue française est l’un des grands trésors nationaux. On n’y touche pas impunément.
Une circulaire ministérielle du 21 novembre 2017 demandait expressément de ne pas faire usage de l’écriture inclusive, tout en valorisant la féminisation quand elle était justifiée. Cette demande est pourtant très régulièrement battue en brèche par les administrations elles-mêmes. Essayons d’y voir plus clair et de comprendre ce qui se joue là.
Ecriture inclusive : kezako ?
La maîtrise de la langue française suppose que l’on accorde correctement les adjectifs, les participes passés et que l’on choisisse également le bon genre et le bon nombre lorsqu’il s’agit de remplacer un nom par un pronom. La règle apprise à l’école est : "le masculin l’emporte sur le féminin".
Ceci implique que le féminin disparaisse lorsqu'il y a mélange de genres. On doit dire : les crapauds et les grenouilles sont verts. Ils coassent. Même s’il y a mille grenouilles et un crapaud. Certain(e)s ont vu là une discrimination liée à des siècles "d’oppression patriarcale". L’écriture inclusive est un ensemble de règles de grammaire et d’orthographe qui cherchent à éviter les "discriminations sexistes par les usages linguistiques".
Remettre les femmes à l’honneur
Nous avions déjà pris l’habitude de féminiser les noms de métiers (auteure ou autrice), d’indiquer que l’on incluait les femmes par l’ajout d’un e entre parenthèses comme je l’ai fait malicieusement un peu plus haut.
Les tenants de l’orthographe inclusive souhaitent aujourd'hui aller plus loin en généralisant le point médian qui séparerait alors les terminaisons féminines et masculines. Ceci permettrait de ne
plus "invisibiliser" les femmes par le langage. Si l’on reprend notre exemple,
cela donnerait : les grenouilles et les crapauds sont vert.e.s. Ils.elles coassent.
L’état des lieux de l’écriture inclusive à l’école.
En 2017 est paru un premier manuel scolaire entièrement rédigé en écriture inclusive. Il était destiné aux classes de CE2, c'est à dire à des élèves de huit ans. En voici un court extrait : "grâce aux agriculteur.rice.s, aux artisan.e.s et aux
commerçant.e.s, la Gaule était un pays riche." Selon ses défenseurs, cela
éviterait donc de sous-entendre que seuls les hommes travaillaient. Mais il
semble évident avec ce seul exemple que cela complique beaucoup la lecture, qu’elle
soit silencieuse, c’est-à-dire axée sur la compréhension ou oralisée dans le
but de partager un message.
Des enseignants d'écoles maternelles ou élémentaires se vantent sur les réseaux sociaux de pratiquer ou d’enseigner l’écriture
inclusive. Le ton de ces publications
est le plus souvent féministe. Il s’agit de "faire avancer les mentalités".
Ces pratiques militantes ne sont pas très nombreuses mais suivies par un public
large et prennent leur place petit à petit. Elles posent clairement la question
de la liberté pédagogique quand elle est mise au service d’une idéologie. Arguer
de la liberté pour en priver les élèves en leur inculquant non plus la langue
mais un seul usage de celle-ci est éminemment critiquable.
L’écriture inclusive est une pratique idéologique.
Si le masculin
l’emporte dans les accords, ce n’est évidemment pas la conséquence
d’une domination des hommes sur les femmes – domination dont je ne nie pas qu’elle
ait pu exister - mais celle de la disparition
du genre neutre latin. En effet, les mots qui appartenaient à la
déclinaison neutre en latin sont généralement devenus masculins en français,
puisque notre langue, contrairement à d’autres comme le russe ou l’allemand, n’a
plus que deux genres : le masculin et le féminin.
Le mot templum que tous
les latinistes connaissent bien puisqu’il sert de modèle à la déclinaison neutre
est devenu le temple. Aller contre cette histoire est une volonté idéologique. C’est supposer une langue originelle
"pure" que la gent masculine aurait sciemment pervertie pour
en faire un instrument de pouvoir. Ou sous-entendre que la langue est le
produit du travail des linguistes alors qu’elle est le produit de siècles
d’histoire qu’il serait bien trop long de relater ici.
Aucune langue n’est
fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Si le juge appelle un témoin à
la barre, je ne sais pas encore s’il s’agira d’un homme ou d’une femme. Un
tyran peut-être une brune ravissante. L’idéologie ne
doit pas avoir sa place à l’école. Celle-ci a pour vocation de donner aux
élèves toutes les connaissances et les outils nécessaires à l’exercice de leur
liberté. Point.
L’orthographe inclusive exclut.
L’orthographe
et la grammaire françaises sont réputées compliquées. La maîtrise de leurs
arcanes demandent plusieurs années d’apprentissage et une attention permanente
à des millions d’élèves et à leurs professeurs. Il suffit de lire quelques
phrases en écriture inclusive pour apprécier leur illisibilité. Même de bons
lecteurs se trouvent en difficulté devant tant de signes diacritiques, tant de "possibilités
grammaticales". Et puis… comment prononcer ces phrases ? Doit-on
dire "agriculteur-trice français-çaise" ou "agriculteur-agricultrice
français-française"?
Bien que favorables à la féminisation de la langue, trente-deux linguistes ont publié une tribune collective en septembre 2020, estimant
l'écriture inclusive profondément problématique: "outre ses défauts fonctionnels, l’écriture
inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et,
en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un
arbitraire moral." En
effet, ces formes artificielles posent de considérables problèmes de découpages et d’accords en ne tenant
pas compte des racines des mots.
Quid des élèves en difficulté ?
En écrivant chanteu.r.se.s je crée une
racine chanteu qui n’a jamais existé et n’a aucun sens. Toutes les réformes
orthographiques précédentes ont eu pour objectif la simplification de la
langue. C'est précisément l'inverse qui se produirait si l’on adoptait l’écriture inclusive : elle aurait pour résultat d’exclure
d’office les élèves en difficulté – je pense aux dyslexiques en particulier –
et d’encourager un usage chaotique de la langue, comme si l'objectif était, par l'imposition de nouvelles règles inapplicables, de retirer aux Français la possibilité de les posséder, de faire table rase de l'histoire de leur langue. L'écriture inclusive est un maoïsme grammatical.
Au passage, on observe souvent
que les plus militants abandonnent d’eux-mêmes l’écriture inclusive après
quelques lignes tant elle leur complique la tâche ! La promotion de l'écriture inclusive par son usage forcé dans les actes administratifs ou par son enseignement à l'école ou à l'université, s'inscrit dans une entreprise plus vaste de destruction de la culture française qui passe par la culpabilisation et l'égalitarisme.
En matière de langue, on a l’habitude de dire que l’usage
fait office de sanction. Il revient donc aux enseignants de refuser cette
nouvelle lubie qui exclut les élèves en difficulté, entrave la compréhension et enlaidit le
discours.