Coupe du monde de rugby : le "French Flair", une réalité devenue nostalgie

Des courses, des passes, du mouvement, des coups de folie devenus coups de génie, des essais légendaires et des victoires improbables. Des situations, des adjectifs et des souvenirs qui renvoient à la mémoire des fans de l'ovalie avec deux mots en corollaire : "French Flair". Un terme accolé au XV de France au fil des années, qui lui a valu ses lettres de noblesse, la crainte et le respect de ses adversaires. Un jeu imprévisible, avec des joueurs à la fois inconscients et intelligents, fabriqués à partir d'un moule rugbystique idéologique et technique. 

Serge Blanco, l'un des plus beaux représentants de ce rugby dans les années 90, a tenté de décrire ce qu'est ce si cher "French Flair" : "C'est de dire on est capable de créer des situations dans la mesure où l'on croit que tout est perdu. Donc on réussit à renverser la situation grâce à ça", explique l'ancien arrière du XV de France. Si Blanco en parle de cette manière c'est parce que nos mémoires sont imprégnées d'actions qui caractérisent à merveille cette notion.

Polyvalence et prise de risque

La plus récente est la demi-finale de la Coupe du monde 1999. Un lieu, Twickenham, l'antre des rivaux anglais. Un adversaire, la Nouvelle-Zélande, les All Blacks de Jonah Lomu. Menés 6-3, les Bleus marquent un premier essai emprunt de ce fameux "French Flair". Lamaison, demi d'ouverture, relance depuis ses 22 mètres, déjà une folie. Ensuite Benazzi prend le relais et enfonce sur 10 mètres. Très vite la balle doit vivre, Fabien Galtier la sort du regroupement sans attendre et lance Dominici. La magie opère. L'ailier aux mèches blondes perce la défense et file sur 50 mètres. Rattrapé à 5 mètres de la ligne, il voit Dourthe sortir la balle, feinter à gauche pour donner à Lamaison qui file à l'essai, lui qui avait initié l'attaque 80 mètres plus haut. 
Dans cette action il y a eu l'audace de Lamaison, le choix rapide de Galtier, le talent de Dominici et la polyvalence de Dourthe, venu jouer les demi de mêlée pour faire vivre le ballon. Du talent, de la lecture de jeu et une prise de risque maximale. Mais ce n'est pas tout. À l'heure de jeu, les Français vont encore frapper, malgré les deux essais de mammouth marqués par Lomu ce jour-là. 

Cette foi-ci, c'est d'une touche que tout va démarrer. Le "maul" du XV de France avance sur 20 mètres en détruisant la défense des All Blacks. À 15 mètres de la ligne d'en-but, Galtier donne au large pour Lamaison, ce dernier d'un coup de pied par dessus trouve Bernat-Salles en "Terre Promise". Puissance, vista, audace, talent et vitesse. Le cocktail est encore gagnant. 

Mais derrière les yeux qui brillent, les poils qui se hérissent et la chair de poule, c'est toute une idée d'un rugby "à la française" qui est esquissée. En effet, dans tous les exemples que l'on peut donner d'un rugby symbole de "French Flair", il faut déceler des caractéristiques techniques et tactiques qui ont fait ce style de jeu. À l'image du jeu de l'Ajax Amsterdam ou du Brésil en football, le "French Flair" est une véritable école du rugby, une idée de ce sport transmise de génération en génération. Le joueur s'adapte à cette philosophie. Il est formé et façonné à cet effet.

Le jeu direct a tué le "French Flair"

Le 3 juillet 1994, la France affronte (encore) les All Blacks, cette fois-ci dans leur légendaire stade de l'Eden Park. Ce jour-là le XV de France va marquer ce que l'on appelle toujours et partout dans le monde "L'essai du bout du monde". Neuf joueurs ont touché la balle sur plus de 80 mètres. De Saint-André qui relance de ses 22 mètres, alors que la logique aurait voulu qu'il tape en touche, à Sadourny qui profite d'une offrande d'Accoceberry pour aplatir. Un chef-d'oeuvre collectif mais aussi une partition technique individuelle sans fausse note. 

Lorsque Saint-André relance, c'est parce que sa lecture de jeu lui fait voir l'intervalle qui lui permet d'avancer sur 30 mètres. Lorsque Gonzalez, talonneur, sort la balle très vite comme un 9, c'est parce qu'il vu le jeu à développer et qu'il a la dextérité d'enchaîner vite. Benazzi, qui donne un ballon parfait à Ntamack, le fait après plaquage, en passant les bras. Pendant ce temps-là il y a des courses croisées, des timing synchronisés, des passes "senties" qui en réalité sont le résultat d'une culture de jeu commune. Une culture aujourd'hui oubliée ou délaissée, selon les versions, romantique ou pragmatique. 

Tout commence par le socle d'habiletés techniques de base que doivent avoir les joueurs. De nos jours, très peu de piliers savent jouer balle en main. Ils sont plus forts, courent plus vite mais restent cantonnés à un jeu de "pick and go" la plupart du temps. À savoir sortir d'un regroupement au ras pour aller percuter le premier rideau et gagner du terrain petit à petit. Un jeu restrictif de percussion brutale car le rugby moderne oublie souvent l'évitement. 

En effet, où sont passés les ailiers virevoltants et les trois-quarts aux courses chaloupées ? De vieux souvenirs. Yohann Huget fait figure d'exception à l'ail et Mathieu Bastareaud est une machine à foncer tout droit en jouant sur une puissance phénoménale. Mais après le contact, trop peu de balles libérées avant de s'écrouler. Les ballons sont souvent "tombés", car les joueurs ont une dextérité jugée en-deçà des standards passés. Son prédécesseur au poste, Yannick Jauzion, était appelé "Le platane" pour sa faculté à rester debout pour permettre au jeu de continuer. Une carence technique étonnante tant les joueurs ont plus de temps pour travailler, avec le professionnalisme. Mais l'archétype du joueur est plutôt "plus costaud" que "plus habile". 

La formation en question

Certes, Philippe Saint-André est le sélectionneur des Bleus et donc responsable du jeu et des résultats mais à y regarder de plus près, c'est tout le Top 14 qui est orphelin de son jeu. Et son prédécesseur, déjà, développait un jeu peu élaboré. Les spécialistes sont quasi unanimes, on joue moins bien qu'avant. L'école toulousaine est en reconstruction et les millions d'euros de droits TV rendent chaque match trop important pour le laisser entre les mains de l'inspiration et du... flair. La formation technique est un peu négligée car les équipes veulent des joueurs capables de tenir le choc, d'abord. L'exemple le plus marquant est sans doute le jeu au pied dans le feu de l'action. 

Il ne s'agit pas du coup de mammouth qui envoie l'ovale à 50 mètres en touche. Plutôt cette délicieuse caresse qui prend une défense à revers, que ce soit à terre, par dessus ou en recentrage. Le genre de coup que jouait Didier Camberabéro en pleine course pour un essai d'anthologie à Twickenham face aux Anglais lors du Tournoi des V Nations.

Encore une fois, c'est une relance insensée, cette fois du duo Berbizier-Blanco, depuis l'en-but français, qui lance la magie. Sella récupère le ballon et donne à Camberabéro qui a croisé dans son dos. Cernée, moins rapide, il utilise sa technique pour faire vivre le jeu, première option envisagée, pas question de buter sur la défense. Premier coup de pied au-dessus d'un défenseur avant de récupérer le ballon. Et deuxième coup de pied de recentrage pour servir Saint-André plein champ. Une vraie prise de risque, calculée aussi par des joueurs qui savent qu'ils ont les outils pour le faire. Et c'est encore Serge Blanco qui en parle le mieux : "C'est du rugby que les autres n'osent peut-être pas tenter et que nous on tente". Qu'on tentait.

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