Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Il n’y a pas loin de la gloire à la chute, c’est ce qui est arrivé à Gustave Eiffel pendant la construction de la tour. Le plus haut édifice du monde lui aura coûté près de 7 millions de francs de l’époque.
Ce n’est rien à côté de la somme gigantesque engagée pour la fourniture des portes colossales des écluses du canal de Panama. Pour relier l’Atlantique au Pacifique, Ferdinand de Lesseps - qui avait dirigé avec succès la construction du canal de Suez - a fini par appeler à l’aide l’ingénieur. Le contrat est de 125 millions de francs, du jamais vu dans tout le XIXe siècle.
Mais le chantier est effroyablement compliqué. Pour financer ce gouffre, des affairistes vont lancer une souscription publique, collecter des millions auprès de petits actionnaires. Mais quand la presse apprend que des élus ont été corrompus pour faire de la publicité et des lois en faveur de ces levées de fonds, l’opération vire au fiasco.
La compagnie cesse ses paiements, abandonne les travaux et est mise en liquidation judiciaire en février 1889, un mois avant l’inauguration de la Tour Eiffel.
Par contrat, Gustave Eiffel a touché 33 millions de francs de bénéfices en dédommagement de ses investissements lors de la liquidation. Les petits actionnaires ruinés portent plainte pour fraude et abus de confiance contre Ferdinand de Lesseps et les autres administrateurs de la compagnie du canal, dont Gustave Eiffel.
L’instruction dure longtemps, mais Eiffel comparaît et est condamné le 9 février 1893 à deux ans de prison et 20.000 francs d’amende. Il fait aussitôt appel. Le procès est prévu pour le 9 juin 1893, et la veille, c’est la règle, le grand ingénieur doit se constituer prisonnier.
Gustave Eiffel a fait de la prison, le temps du procès. Sa condamnation est finalement annulée mais pour vice de forme. D’autre procédures le disculperont, mais le mal est fait dans l’opinion, et l’ingénieur se sent déshonoré. Il démissionne quasi immédiatement de la direction de son entreprise, qui devient la SCLP, la Société de construction de Levallois-Perret.
À 61 ans, riche à millions, propriétaires de nombreuses villas somptueuses, notable, mais sali par l’affaire de Panama, Gustave Eiffel va se consacrer entièrement au sauvetage de la tour, qu’il a toujours en concession. Et la science, sa chère science, va redevenir le centre de ses préoccupations.
Au tournant du XXème siècle il se consacre à la météo. Grâce à la tour on découvre ainsi le phénomène d’inversion thermique, quand il fait plus chaud parfois la nuit à 300 mètres de hauteur qu’au niveau du sol. Il prête aussi la tour aux militaires pour tester les débuts de la transmission radio.
Mais il va profiter de la tour pour retrouver son meilleur ennemi de toujours : le vent. Personne ou presque ne s’y intéresse, alors que lui a bataillé tout au long de sa carrière contre le vent qui a même fait s’effondrer un de ses viaducs ferroviaires en construction.
En 1909, Eiffel a 77 ans, et c’est une deuxième vie qui va commencer pour lui quand il va mettre sur pied les bases de l'aérodynamique. Ses recherches suscitent en premier lieu l’intérêt des premiers constructeurs d'avions.
Les premiers essais se font depuis le deuxième étage de la Tour Eiffel, à l'aide d'un câble tendu jusqu'au sol le long duquel il fait chuter toutes sortes d'objets. Mais le fonctionnement est complexe et malcommode. Plutôt que de faire bouger des objets dans l'air, pourquoi ne pas faire bouger l'air autour des objets ?
C'est ainsi que naît l'idée d'une soufflerie, où un ventilateur produit un courant d'air dans lequel on place les objets à étudier. Il conçoit et construit sur ses fonds une première version sur le Champ-de-Mars.
Elle est rapidement trop petite pour les tests qu’il veut réaliser, et le bâtiment dénote un peu au pied de Tour Eiffel. La Ville de Paris lui demande d’ailleurs de le déplacer.
Il va donc acheter en 1911 un bout de jardin à un maraîcher de l’ancien village d’Auteuil, c’est aujourd’hui la rue Boileau, dans le XVIe arrondissement de Paris. En quatre mois il va construire l’écrin de sa nouvelle invention. Cet endroit extraordinaire est en parfait état et fonctionne toujours, c’est aujourd'hui le laboratoire Eiffel Aérodynamique.
Le vieux tableau de commande classé monument historique a été utilisé jusqu’en 2003 avant d’être modernisé ; si cette soufflerie est encore demandée aujourd’hui c’est parce que Gustave Eiffel a voulu la perfection, encore une fois, et il a inventé un procédé qui porte son nom : au lieu de souffler de l'air sur les objets, ce qui envoie un flux très perturbé qui fausse les mesures, Eiffel va décider d'aspirer l'air, ce qui créée un flux beaucoup plus linéaire.
C’est pour cela que l’énorme ventilateur est tout à l’arrière de la soufflerie - il faudrait peut-être dire "aspirerie". D’ailleurs c’est la seule partie métallique de la soufflerie, étonnant pour un constructeur qui a bâti sa vie et sa fortune sur le fer. Et cet outil fonctionne dans un silence étonnant et peut produire des vents jusqu'à 100 km/h.
Les débuts de la soufflerie sont consacrés quasi exclusivement à l’aviation. Ailes, hélices, flotteurs d’hydravions, trains d’atterrissage, réservoirs, tout passe par la veine d'essai. 15.000 expériences sont effectuées dans la seule première année.
Il n’existe pas de laboratoire comparable dans le monde à l’époque, et les pays voisins dont l’Allemagne se font traduire immédiatement tous les travaux d’Eiffel. La reconnaissance de la communauté scientifique est universelle. La fondation Smithsonian aux États-Unis lui décerne la médaille Langley pour "services rendus à l’aérodynamique".
C’est le début d’une saga méconnue qui dure encore aujourd’hui. Dès 1915 le laboratoire travaille pour la première fois au monde pour une marque de voiture, restée fidèle depuis : le groupe PSA a notamment testé tous ses modèles de rallye jusqu'à la Citroën DS3 WRC.
À ses débuts, la soufflerie était mise gratuitement à disposition des clients à conditions que les résultats soient rendus publics. L'universalité de la science, c’était le principe qui a guidé l’ingénieur dans toute ses aventures.
La soufflerie Eiffel, si discrète dans sa rue tranquille, peut se visiter, notamment lors des journées du patrimoine, un plongeon fascinant dans ce qui a été le dernier bureau de Gustave Eiffel.
La soufflerie n’est que l’ultime héritage de celui qui n’était pas architecte, pas artiste, qui n’a dessiné aucune de ses constructions les plus audacieuses, mais qui avait le génie de l’entreprise, du marketing, et de l’équation juste.
Le patriarche qui a créé tant de formes impeccablement rationnelles est mort à Paris le jeudi 27 décembre 1923, 12 jours après son 91ème anniversaire.
Il défie la géométrie par delà la mort. Sa tombe, dans le cimetière de Levallois-Perret, est la seule de sa rangée qui ne respecte pas l’alignement, parce qu’elle est tournée exactement vers la tour Eiffel.
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