"La Mona Lisa africaine". C'est ainsi que le romancier Ben Okri surnomme Ife Adetutu Ademiluyi dite "Tutu", la princesse représentée sur un tableau du peintre nigérian Ben Enwonwu. Après sa disparition en 1975, l'oeuvre a été retrouvée dans un appartement londonien et sera présentée aux enchères à Londres le 28 février prochain.
"Depuis 40 ans, c'est une peinture légendaire, tout le monde en parle, se demande où est 'Tutu' ?", explique l'écrivain, lauréat du Booker Prize, à propos de ce portrait perdu de vue. La maison d'enchères Bonhams où le tableau sera proposé à la vente retransmettra l'événement en direct à Lagos, capitale du Nigéria, pour permettre aux acheteurs potentiels de se manifester.
Peint en 1974, le portrait a été perdu de vue après avoir été exposé pour la dernière fois à l'ambassade d'Italie à Lagos en 1975. Originellement partie d'un triptyque peint par Ben Enwonwu, il est pour l'instant le seul à avoir été retrouvé, grâce à Giles Peppiatt, directeur de l'art moderne africain chez Bonhams. Des particuliers l'avaient contacté après le succès de ventes d'art nigérian.
C'est un symbole d'espoir et de régénération au Nigéria.
Ben Okri, écrivain nigérian
Le portrait avait été acheté par le père de famille lors d'un voyage d'affaires. "Je suis entré dans cet appartement londonien et je l'ai vu accroché au mur, c'était à peu près la dernière chose que je m'attendais à voir", raconte Giles Peppiatt.
"Dès que je l'ai vu, j'ai su qu'il était authentique mais je ne pouvais pas le dire aux propriétaires parce que vous ne pouvez pas sortir ça comme ça". Une fois l'oeuvre authentifiée, la famille, "sans surprise, a été assez stupéfaite".
La découverte du tableau a fait la joie de l'écrivain Ben Okri qui a "passé des heures à le regarder et à rattraper le temps perdu". L'artiste "n'a pas simplement représenté la jeune fille, il a représenté toute la tradition. C'est un symbole d'espoir et de régénération au Nigéria, le symbole du phénix renaissant de ses cendres", explique-t-il.
Les tableaux de "Tutu" sont devenus des symboles de paix après la guerre civile au Nigéria à la fin des années 1960. "Le modèle est Yoruba et Ben Enwonwu était Ibo, donc ils étaient issus de différentes ethnies", souligne Eliza Sawyer, spécialiste au département d'art africain de Bonhams. "C'était un symbole important de réconciliation".
Ben Enwonwu était tombé par hasard sur la plus célèbre de ses muses. "Il faisait le tour des villages et dessinait des scènes et des personnages locaux, et il a rencontré cette jeune femme et a demandé de la peindre, pensant lui faire plaisir, ne connaissant pas son statut", raconte Eliza Sawyer. "Elle a été un peu surprise par la demande !".
"C'était le sommet de la carrière de l'artiste, le modèle était une princesse et la peinture a été perdue, tout cela crée énormément de mystère". Selon Giles Peppiatt, l'artiste "était secrètement amoureux de son modèle, une très jolie femme". Le tableau "est assez audacieux, avec la lumière sous le menton, qui attire l'attention sur la tête", décrit-il.
L'oeuvre est estimée entre 200.000 et 300.000 livres (226.000 à 339.000 euros). Mais pour le romancier Ben Okri, sa valeur est plus que financière. "Ça nous donne un aperçu d'une importante recomposition africaine de l'art du portrait". Cela va "lancer un débat", estime-t-il. Les peintres africains n'ont "jamais eu" l'attention méritée, "c'est l'oeuvre parfaite pour commencer" à se demander pourquoi.