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"La peine de mort, c'est le compagnon de la dictature" : le combat de Robert Badinter raconté par les archives RTL

Robert Badinter fait son entrée au Panthéon jeudi 9 octobre, jour anniversaire de l’abolition de la peine de mort en France en 1981. Un combat que Robert Badinter a porté au micro de RTL, avant même d'être ministre de la Justice. Retour en archives sur les années clés qui racontent l'engagement d'une vie.

Le garde des Sceaux Robert Badinter, rédacteur en chef du journal inattendu sur RTL, le 5 septembre 1981

Crédit : Anne-Marie GOURIER / AFP

Nathan Laporte

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L'engagement de Robert Badinter pour abolir la peine de mort a une origine : le 28 novembre 1972, il assiste à l'exécution d'un client qu'il n'a pas réussi à sauver de la guillotine.

À 44 ans, il est un avocat d’affaires reconnu, qui ne plaide qu’occasionnellement aux assises. Sollicité, il a tout de même accepté de défendre Roger Bontems, l'un des deux protagonistes de la tuerie de Clairvaux. En 1971, à l’infirmerie de la centrale de cette prison de l'Aube, lui et un co-détenu, Claude Buffet, prennent en otage une infirmière et un gardien. Les deux sont retrouvés égorgés après l’assaut des forces de l’ordre.

Le procès a lieu l'année suivante, en juin 1972. Mais la défense doit composer avec les déstabilisations de Claude Buffet, qui réclame la guillotine pour lui-même. Il l'obtient : l'accusé est reconnu coupable et condamné à mort, tout comme son complice Roger Bontemps, qui n'a pourtant pas tué.

1972, celui qui n'a pas tué doit-il être exécuté ?

Le dernier espoir de Badinter pour sauver Roger Bontems réside dans la grâce présidentielle. Le 14 novembre, il se rend donc à l'Elysée pour demander à Georges Pompidou d'épargner son client. "Depuis le commencement du septennat de monsieur Pompidou, aucune condamnation à mort n'a été appliquée", rappellent les journalistes de RTL ce jour-là.

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Au soir du 14 novembre, toujours dans l'attente de la réponse du chef de l'État sur la demande de grâce, Robert Badinter est invité sur notre antenne, aux côtés de Thierry Lévy, l'un des défenseurs de Claude Buffet. Dans son rôle d'avocat, Badinter n'hésite pas à reprendre le journaliste pour rappeler que Roger Bontems n'a pas tué. C'est sur ce point qu'il construit la défense : celui qui n'a pas tué ne peut être exécuté.

"Vous me permettrez de revenir sur ce qui vient d'être dit", corrige Robert Badinter avant de répondre à la moindre question, comme vous pouvez l'entendre dans l'archive ci-dessous. "Je dois à la vérité de rappeler qu'à la 6e question : 'Bontems a-t-il donné la mort à l'infirmière et au gardien ?', la Cour d'assises a répondu non."

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14 novembre 1972 : Robert Badinter demande la grâce à Georges Pompidou pour Roger Bontems

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Même si le débat est à la grâce présidentielle, puisque la peine de mort a été prononcée, c'est déjà cette dernière que Robert Badinter combat. Face à l'opinion publique majoritairement favorable à la guillotine, l'avocat oppose des faits. "Dans la quasi-totalité des cas, il n'y a pas de récidive" quand on préfère une peine d'emprisonnement à la peine de mort, explique t-il dans l'extrait suivant.

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14 novembre 1972 : Robert Badinter s'attaque à la peine de mort

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Tous ces arguments ne suffisent pas. Le président Pompidou, que Robert Badinter croit abolitionniste, refuse la grâce. Le 28 novembre 1972, dans la cour de la Santé, Claude Buffet et Roger Bontemps sont guillotinés. Mais dans cet échec, Robert Badinter a trouvé sa voie.

À partir de ce moment-là s’est ouverte la grande décennie de combats – ou plutôt la décennie des grands combats - contre la peine de mort, qui est devenue un sujet majeur dans l’opinion publique.

Robert Badinter, dans la revue "Histoire de la justice"

C'est au tribunal, procès par procès, qu'il tente de faire reculer l'échafaud.

1977 : le procès de Patrick Henry

En janvier 1977, Patrick Henry, jeune homme de 23 ans, est jugé pour le meurtre d’un enfant de sept ans, Bertrand, par la cour d'assises de l'Aube, à Troyes. La même cour qui a condamné Buffet et Bontems. Pour défendre le meurtrier dont l'opinion publique réclame la tête, Robert Badinter, désormais adversaire déclaré de la peine de mort, assiste maître Robert Bocquillon.

À la surprise générale, Patrick Henry écope de la perpétuité, et échappe à la guillotine. Robert Badinter est sur RTL au lendemain de cette décision de justice à laquelle lui-même peine à croire : "Mon sentiment était que les chances d'arriver à surmonter tous les handicaps et a finalement sauver la vie de Patrick Henry, me paraissaient infinitésimales" concède t-il sur notre antenne, le 21 janvier 1977.

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21 janvier 1977 : Robert Badinter sauve Patrick Henry de la guillotine

00:01:00

Mais même au lendemain de cet "événement judiciaire considérable", puisqu'il a ouvert une brèche dans la règle "qui semblait apparaître qu'on réserve l'exécution au seul assassin ou meurtrier d'enfant", Robert Badinter ne semble pas convaincu que c'est la peine de mort qui a été condamnée par les jurés et les magistrats.

Comme vous pouvez l'entendre dans l'extrait suivant, l'avocat reste lucide, persuadé qu'en face du "phénomène d'identification, qui est très naturel, avec les victimes", "il sera très difficile pour le Parlement français de voter l'abolition de la peine de mort".

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21 janvier 1977 : Robert Badinter réagit à la condamnation de Patrick Henry

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1981, l'abolition de la peine de mort

C'est en sa qualité nouvelle de ministre de la Justice, à la faveur de l'élection de François Mitterrand, que Robert Badinter endosse le rôle de rédacteur en chef du Journal inattendu sur RTL le 5 septembre 1981. Moins de 15 jours plus tard doit s'ouvrir le débat sur l'abolition de la peine de mort à l'Assemblée nationale. L'abandon de la peine capitale, une courte majorité des Français, 52%, y est alors hostile. 

La société est minée par un sentiment d'insécurité persistant. Jusqu'ici, les responsables politiques ont préféré préserver le symbole de la peine de mort. En 1978, un prédécesseur de Badinter au ministère de la Justice, le gaulliste Alain Peyrefitte, déclarait ainsi que l'abolition de la peine de mort était inopportune dans un climat d'anxiété généralisée.

Et même si en 1981, l'Assemblée nationale est acquise à la majorité de gauche, l'abolition, qui devra aussi passer par le Sénat, n'est "pas gagnée d'avance" de l'aveu même de Badinter, qui préfère rester prudent.

La tension dans le débat autour de l'abolition, Robert Badinter l'a parfaitement saisi et la résume dans l'extrait ci-dessous, à la fin du Journal inattendu. "Je sais à quel point est profonde chez l'être humain et la plupart les Français, l'angoisse devant le crime", explique-t-il. "Et je sais que la réponse instinctive, c'est la mise à mort. La vieille loi du talion. Qu'elle ne serve à rien, on le sait. Qu'elle soit difficile à maîtriser, je le mesure très bien."

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5 septembre 1981 : Robert Badinter s'apprête à défendre l'abolition de la peine de mort

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Aux réticents, Badinter tente de démontrer que les craintes sur une hausse de l'insécurité en cas d'abandon de la peine de mort sont infondées. Et aux passions qui entourent le débat sur l'abolition, le ministre de la Justice oppose des faits et des arguments de raisons, comme il le faisait déjà en tant qu'avocat dès 1972.

"Demain, grâce à vous la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus, pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées."

Robert Badinter, le 17 septembre 1981, devant l'Assemblée nationale.

Le 17 septembre, Robert Badinter use de son lyrisme à la tribune de l'Assemblée nationale, pour prononcer des mots restés célèbres, que vous pouvez réécouter dans l'extrait ci-dessous.

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17 septembre 1981 : Robert Badinter demande l'abolition de la peine de mort à l'Assemblée nationale

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Le 30 septembre, le Sénat approuve également le texte de loi. L'abolition est promulguée le 9 octobre 1981.

1984, entériner l'abolition, enterrer la peine de mort

Désormais abolie, encore faut-il maintenir la peine de mort à distance. Car le débat reste ouvert dans les années qui suivent. En 1984, la première proposition de loi de rétablissement de la peine de mort est officiellement avancée, pour les meurtres de mineurs. Elle émane de Jean-François Poncet, sénateur du Lot-et-Garonne. Le moment n'est pas anodin, il fait suite à deux faits divers tragiques dans le département. La vague d'émotion pourrait-elle emporter l'aboutissement du combat de Robert Badinter ?

Lorsqu'il est invité du Grand Jury en mars 1984, la question des critiques adressées à l'abolition est posée à celui qui est toujours garde des Sceaux. Sa réponse est sans appel : "La peine de mort ne fait plus partie de notre civilisation, c'est fini. Tant qu'il n'y aura pas un changement radical de société en Europe occidentale, une dictature, parce que la peine de mort, c'est le compagnon de la dictature, je ne crois pas au rétablissement de la peine de mort où que ce soit en Europe."

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4 mars 1984 : Robert Badinter estime que "la peine de mort ne fait plus partie de notre civilisation"

00:01:41

C'est grâce au droit européen que Robert Badinter verrouille l'abolition et la protège des émotions nationales et des tentations électorales. En 1986, la France ratifie le sixième protocole de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Il stipule que "la peine de mort est abolie", "nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté".

Pourtant, 11 ans plus tard, alors que Robert Badinter n'est plus ministre de la Justice, mais président du Conseil Constitutionnel, le Grand Jury lui pose à nouveau la question d'un hypothétique retour de de la peine de mort. Sa réponse, vous la trouverez dans le dernier extrait, ci-dessous.

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26 janvier 1997 : Robert Badinter écarte tout retour de la peine de mort en Europe

00:01:28

La peine de mort, "je n'y pense jamais plus en ce qui concerne la France", confie Robert Badinter. 24 ans après avoir assisté, impuissant, à l'exécution de Roger Bontems, il est bel et bien parvenu à se décharger de la mission qu'il s'était lui-même donné.

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