Emmanuel Macron sera donc présent aux deux grandes cérémonies, ces vendredi 8 et samedi 9 décembre, pour deux personnages qui n'ont rien à voir. Pour Jean d'Ormesson d'abord, l'Académicien aristocrate, le chef de l'État prononcera aujourd'hui l'éloge funèbre dans l'enceinte majestueuse des Invalides. Le lendemain, changement de registre : c'est pour célébrer la mémoire de Johnny Hallyday, le chanteur populaire, qu'Emmanuel Macron prendra la parole. Mais "brièvement", précise l'Élysée.
La précision est d'importance. Il y a toujours le risque, dans ces moments-là, d'être accusé de récupération politique, surtout quand on essaie de se débarrasser de l'étiquette de "président des riches". Emmanuel Macron n'échappera pas à cette suspicion. D'ailleurs, il ne s'agit pas d'un hommage national, mais d'un hommage "populaire".
Pour Emmanuel Macron, c'est aussi l'occasion de travailler son image. Une image qui colle à la France. En participant aux deux événements, le chef de l'État veut en fait se construire un récit national. Dès qu'il est arrivé au pouvoir, Emmanuel Macron a cherché à s'inscrire dans l'Histoire de France. Cela a commencé dès le soir de son élection avec, on s'en souvient, sa longue marche depuis la Pyramide du Louvre.
Dans cette optique, les commémorations sont essentielles. Emmanuel Macron a d'ailleurs un conseiller, Sylvain Fort, qui est chargé des discours, mais aussi de la "mémoire". Ce n'est pas un détail : le chef de l'État est jeune. Ce fut incontestablement, dans le cadre du renouvellement politique, un atout pour être élu. Mais il sait aussi que ça peut être pénalisant pour incarner la France et son long cortège de destins qui ne sont pas de sa génération. D'où l'importance qu'il accorde à ces cérémonies. Il n'y a pas si longtemps, par exemple, il était là pour saluer la mémoire de Simone Veil (c'était là aussi aux Invalides).
Ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, ont échoué à raconter une Histoire qui parle à l'ensemble des Français. Il faut en fait remonter à François Mitterrand pour trouver l'élaboration pensée et réfléchie d'une sorte de mythe politique (celui du monarque républicain), qu'on a vu d'ailleurs se concrétiser dans les grands travaux parisiens.
Il y a clairement chez Emmanuel Macron cette volonté de hauteur, de prestige, d'autorité qu'il emprunte à François Mitterrand. Mais il veut aller plus loin. Lui, l'amoureux de littérature, est clairement davantage du côté de d'Ormesson, de l'érudit, de l'intellectuel (tout son parcours universitaire parle pour lui) que de Johnny Hallyday, l'homme du peuple parvenu en haut de l'affiche. Emmanuel Macron va tenter de réunir deux France, en parlant aux lecteurs de Jean d'Ormesson et aux fans de Johnny - qui sont parfois les mêmes mais pas toujours. Presque un grand écart.
Mais vous savez, ce qu'on entendra dans les deux discours, de manière subliminal, c'est ce message, cette requête aux Français : "Aimez-moi autant que vous les avez aimés". Parler d'eux, c'est aussi parler de lui. Il y a une forme de narcissisme chez tous les politiques, auquel Emmanuel Macron n'échappe pas. Surtout quand on veut s'installer comme un personnage de l'Histoire avec un grand "h".
Mais attention, au final, c'est l'histoire que projette les Français sur leurs dirigeants qui est essentielle, celle qu'ils se racontent, pas forcément celle que le chef de l'État veut leur imposer. C'est alors la communion ou le fossé. Et c'est dans les urnes, toujours, que tombe le verdict.